D'après la quatrième de couverture, le poète Arthur Billerey révèle, dans ce recueil, à travers son élan poétique les tourments liés à l'éco-anxiété de sa génération.
Ce serait suffisant pour dissuader quiconque de sensé d'ouvrir ce livre. Mais, si les poètes n'ont pas toujours raison sur le fond, ils savent parfois y mettre la forme.
Si la croyance dominante, qui fait fi de l'observation honnête du réel, est qu'il y a des raisons d'être anxieux, il convient de passer outre pour apprécier l'expression.
D'ailleurs le lecteur attentif peut, à raison, se demander si le poète qui semble faire partie des croyants de cette religion, de temps en temps, ne cède pas à l'ironie:
il est écrit dans le journal
qu'il faut changer drastiquement
nos modes de vie nos habitudes
Le titre lui-même, La ruée vers l'ombre, est un clin d'oeil à une autre ruée, celle vers l'or, qui fit beaucoup rêver et qui déçut également nombre de ses participants.
Il s'agit ici d'une ombre bien particulière, celle qui permet de se protéger contre le réchauffement climatique, dont il est convenu de surestimer les effets et l'exception.
Le poète n'est pas complètement dupe puisqu'il dit:
il a fait chaud comme en quarante
moins les balles et moins les bombes
Il ne voit pourtant pas l'avenir avec sérénité et reprend la sémantique des médias et des politiques:
le futur ce mourant qui nous tisonne
suit à la trace l'empreinte carbone
Jusque dans un propos amoureux:
une lumière en toi quelquefois me malmème
et c'est la fonte de la banquise à mes yeux
Pour se donner bonne conscience, il se dit qu'il appartient au moins au camp du bien:
il y en a qui se la coulent douce
actionnaires d'un océan de ruines
ce qui est aussi une façon de faire
mais qui n'est pas la mienne
Comme dans les religions révélées que cette religion singe et qui sont mises sous le tapis, la culpabilité fait son retour, mais cette fois elle est séculière:
est-ce de ma faute ou de la tienne
si l'eau ne traverse plus les roches
Qui dit culpabilité, dit repentance où l'humour toutefois n'est pas absent:
alors j'ai des comptes à rendre
jusqu'à l'arête de poisson
alors j'ai des comptes à rendre
jusqu'à la cime de l'arbre
comme la forêt vierge
rend la nuit venue quiétude
à chacun de ses singes
Une petite allusion à Éole, la divinité du vent des Anciens, et à l'abandon des énergies fossiles, confirme l'orthodoxie du propos:
on pourrait remplacer le diesel et l'essence
par le vent histoire de laisser nos empreintes
Il est peut-être, cependant, hétérodoxe de dire:
le réchauffement syllabique
le vois-tu venir?
[...]
voilà les mots retransformés
en énergie solaire
la nuit ne peut l'ensevelir
Francis Richard
La ruée vers l'ombre, Arthur Billerey, 96 pages, Editions Empreintes
Recueil précédent aux Éditions de l'Aire:
À l'aube des mouches (2019)