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— Maman, quel âge j'ai ?— 21 ans.— Tu m'offres quoi pour mes cinquante ans ? — Des pommes de terre en robe des champs.
Je me suis beaucoup interrogé. Fallait-il que je m'en ouvre sur ce blog ? Et si c'était pas ailleurs, ce devait être sur ce blog. Des semaines que ça me ronge. Que mon optimisme prend chaque jour un coup dans l'aile. Le diagnostic a fini par tomber comme un couperet. Ma sœur et moi ne cessions d'alerter le service, comment pouvait-on la laisser dégringoler sans chercher et vite comment l'en empêcher. On soignait le corps mais on négligeait le cerveau. Les troubles cognitifs, on verrait plus tard. Je vous passe les détails et les semaines de questions sans réponses, d'inquiétudes, d'angoisse, de stupeur, d'abattement.
Lorsque j'ai lu le témoignage poignant de Laure puis les commentaires de Cécile puis encore de Marie, je me suis dit que ce billet (et les suivants) étaient légitimes. Surtout quand on sait que le tabou plane, le désespoir guette, et les personnes souffrant de dégénérescence du cerveau sont légion.
Les maladies neurodégénératives touchent plus d'un million de Français !
Ce ne sont pas que Bruce Willis ou Michael J.Fox. Ou "les autres". C'est aussi ton père, ton oncle, ta tante adorée, un être cher qui tombe brutalement dans les affres de ces pathologies.
C'est ma mère qui, ballotée de service en service, au détour d'une longue hospitalisation, se voit diagnostiquée atteinte d'une DFT (dégénérescence fronto-temporale), une maladie cousine d'Alzheimer mais qui ne touche pas les mêmes zones du cerveau.
Elle qui, à 75 pimpantes années au compteur, rendait visite à son amie Martine il n'y a pas si longtemps, au terme d'un petit kilomètre cinq cent à pied. Qui s'occupait de ses poules, matin et soir. De son chat, de son jardin potager, de sa maison. Allait au marché, conduisait sa voiture, rendait visite à ses sœurs en Dordogne. Appelait presque quotidiennement sa sœur Janine pour débriefer à propos de leurs feuilletons favoris. Tout ça et bien davantage, c'est fini.
En attendant qu'une place se libère dans un établissement adapté (traduire, attendre le décès d'un autre résident), ma sœur (à son chevet) et moi-même (via WhatsApp pour le moment) lui apportons un peu de réconfort, bricolons des morceaux de solutions parce que nous n'avons ni l'information, ni les ressources, ni l'aide la plus minimale, nous cherchons sur internet, prenons contact avec des associations (France DFT pour n'en citer qu'une).
Je m'accroche, bouleversé, à un sourire que m'offre ma mère, aux mots si fragiles, si fugaces, qu'elle prononce hier :
— Je suis heureuse.
---Le titre de de billet en forme de poésie du désespoir fait écho à ce qu'aime (entre mille autres choses) ma mère, les patates, qu'elles soient frites, rissolées, écrasées, vapeur. Ma mère que j'ai souvent surnommée, pour la taquiner, madame Patate.
La photo qui illustre ce billet, des fleurs dans le champ de patates cultivées par ma mère.