Nous avons une facilité étrange de penser par groupes : telle classe, telle profession, telle race, tel peuple. Qu'il y ait sous ces étiquettes des êtres vivants dont chacun a une destinée personnelle, nous n'éprouvons aucun scrupule à l'ignorer.
Et nous portons, avec une assurance dogmatique, sur des millions d'hommes, dont nous ignorons le langage, les œuvres et la vie, dont nous ne connaissons intimement aucun, des jugements définitifs, qui les obligent éternellement à être ce que, pour la commodité de notre système ou la vanité de notre information, nous avons déclaré qu'ils devaient être.
Comme il est urgent de défaire en notre esprit ces unités factices, et de discerner, dans le groupe, les personnes : chaque personne, avec son devoir merveilleux et son droit imprescriptible de vivre humainement !
L'humanité est en péril de mort, parce que tous les problèmes - pédagogiques, économiques, sociaux, politiques sont posés dans l'abstrait, en l'ignorance systématique de la question qui les éclairerait tous :
Qu'est-ce que l'homme ?
La vie, en sa dignité spirituelle, en ce mystérieux dedans qui en fait tout le prix.
Ce petit enfant qui est tout innocence et tout spontanéité, ce petit enfant dont le sourire vous illumine et vous purifie, pouvez-vous concevoir qu'il devienne, dans trente ou quarante ans, cet être alourdi, amer et charnel, automatique et anonyme, que tant d'entre nous sont devenus ?
Maurice Zundel
L’Evangile Intérieur - 1936 (extrait)
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