Raphaël Rapha est né le 20 février 1969 à Fort-de-France en Martinique. C'est là-bas qu'ils se rencontrent avec Danielle durant leur jeunesse. " A l'époque j'habitais déjà en métropole avec mes parents mais nous rentrions souvent pendant les vacances. Nos familles étaient voisines, alors on se voyait régulièrement. Nous n'avions qu'une dizaine d'années mais nous deux c'était une évidence ". En 1990, alors âgé de 21 ans, Raphaël quitte la Martinique pour rejoindre Danielle en région parisienne.
Le couple se met bientôt en ménage. Sept enfants vont naitre de cette union. " Nous étions une famille très soudée. On nous appelait le clan des Rapha. Raphaël était très proche des enfants. Il jouait beaucoup avec eux lorsqu'ils étaient petits. Il leur a appris de nombreuses choses comme faire du vélo, nager, bricoler, jardiner. Il avait le gout de la transmission. Il a même été jusqu'à m'apprendre à faire une vidange de moteur. C'était un mari adorable et un papa aimant. " Titulaire d'un CAP fraiseur et d'un BEP mécanicien monteur, Raphaël intègre bientôt l'usine Peugeot de Poissy. " Il y a occupé un poste de monteur câbleur pendant une dizaine d'années " se souvient Danielle alors aide-soignante.
" Il était consciencieux et cherchait toujours à bien faire "
En 2001, la famille déménage en Bretagne, dans le Morbihan. " On aimait beaucoup cette région et nos meilleurs amis y étaient installés. Et les amis pour nous, c'est un peu comme la famille. " Après avoir fait un peu d'intérim, Raphaël décide de reprendre ses études et de passer un Bac pro pilotage de systèmes de production automatisée. S'en suivent plusieurs CDD dans des entreprises du côté de Ploërmel. " Il a d'abord travaillé chez Capsulgel, qui produit notamment des capsules pour l'industrie pharmaceutique, puis chez l'équipementier automobile MPAP. Ensuite, il a signé un CDI chez Armor panneaux, un fabriquant de panneaux à particules. A cette époque, il travaillait déjà sur de grosses machines, parfois dangereuses. Raphaël était quelqu'un de très prudent et de carré dans son travail. "
Après une dizaine d'années en Bretagne, les Rapha partent s'installer dans le Sud, en banlieue de Toulouse. Passionné d'informatique le père de famille se lance alors dans une nouvelle formation et intègre bientôt un poste de technicien itinérant dans une société de maintenance et d'entretien des équipements informatiques. Cantonné au nettoyage et à l'entretient de distributeurs automatiques de banques, il déchante cependant rapidement. " Il devait se déplacer énormément, parfois jusqu'à Marseille et ce travail ne l'épanouissait pas mais il était consciencieux et cherchait toujours à bien faire. De toute façon, il fallait bien avoir un salaire pour faire vivre la famille ".
En 2018, la famille décide finalement de rentrer en Bretagne pour se rapprocher à nouveau de ses amis. L'entreprise pour laquelle travaille Raphaël lui propose alors un poste de technicien de maintenance itinérant sur tout le Grand Ouest. " Il s'est retrouvé seul sur un secteur immense qui était jusque-là balayé par trois personnes. Le travail lui plaisait mais avec les déplacements, il était usé. La paie n'était pas la hauteur de l'énergie qu'il devait déployer. Il a été contraint de démissionner. " Toujours prêt à évoluer et rebondir, Raphaël, alors âgé d'une cinquantaine d'années, se lance dans une nouvelle formation au Greta de Quimper. C'est dans ce cadre qu'il intègre l'usine de mareyage Socorex à Concarneau (Filiale du groupe SoFish).
Après une période de stage, Raphaël obtient finalement un CDI au sein de l'entreprise spécialisée dans la découpe de poissons en filets. Il ne peut cependant pas cacher à sa femme son manque d'épanouissement face aux tâches qui lui sont confiées et émet certaines critiques quant à l'organisation du travail. " Raphaël me disait souvent 'je fais du rafistolage, on me demande de faire du neuf avec du vieux'. Au final, il s'occupait essentiellement de l'entretien intérieur et extérieur de l'usine. On lui faisait faire du nettoyage, de la peinture, du bricolage. Des taches qui étaient bien inférieures à ses compétences. Alors il a demandé à effectuer un roulement avec ses collègues pour pouvoir s'occuper aussi des machines ou de la gestion informatique ".
Désireux d'évoluer professionnellement et de s'impliquer pour les autres au sein de l'entreprise, Raphaël obtient d'abord le certificat d'aptitude à la conduite en sécurité de nacelle (CACES) et devient par la suite sauveteur secouriste du travail (SST). " C'était une personne bienveillante, il aimait rendre service, il entretenait de bonnes relations au travail, mais aussi dans son cercle amical. Ses collègues disaient de lui 'Raphaël est toujours d'humeur égale, jovial, et a toujours un mot gentil pour chacun'. Il avait même organisé, au sein de l'entreprise un gouter de noël en décembre 2020. Il était fier et content d'être à l'initiative de cette animation et ainsi d'avoir pu réunir l'ensemble du personnel, qui a joué le jeu. "
Pour autant, la situation à son travail devient pesante. " Il était cantonné aux basses besognes. A cela s'ajoutait aussi la fatigue car pendant plusieurs semaines on lui a demandé de remplacer un collègue et de venir en pleine nuit pour installer des couteaux sur les machines. A tel point, qu'il envisageait même de démissionner ".
" Pourquoi cette machine n'était pas arrêtée ? Peut-être qu'il est parti avec la réponse "
Dans la matinée du 25 avril 2022, Raphaël intervient pour meuler une plaque pleine de rouille sur la partie supérieure d'un compacteur à polystyrène. Mais sur les coups de 11h15, alors qu'il s'affaire à sa tâche, il est déséquilibré et tombe dans la machine qui se met alors automatiquement en marche. Sa jambe gauche est happée et l'artère fémorale sectionnée. " On me dit que c'est une faute d'inattention. Qu'il a dû se mettre à cheval au-dessus de la machine pour plus d'aisance. Mais celle-ci était encore sous tension. Ça ne lui ressemble pas. Mon mari était très rigoureux, il a toujours fait attention aux questions de sécurité. C'était un technicien expérimenté qui connaissait bien son métier. Pourquoi cette machine n'était pas arrêtée ? Peut-être qu'il est parti avec la réponse. "
Au moment de l'accident, Raphaël se trouvait en effet seul dans un local fermé. C'est un jeune collègue venu le saluer qui a découvert la scène. Mais il était alors déjà trop tard. " C'est vers 13h30 que j'ai vu la police se présenter sur le pas de ma porte. Lorsqu'ils m'ont demandé de m'assoir, j'ai toute de suite compris. Ce matin-là, il était parti en me disant : 'je t'ai préparé le petit-déj, je vais rentrer plus tard ce soir car je dois passer à la déchetterie'. Mais il n'est jamais rentré. C'est terrible de se dire que face à ce genre de machine, une simple erreur peut vous coûter la vie ".
Raphaël, qui avait alors 53 ans, est incinéré dans les jours qui suivent. " Il était très proche de nous. C'était aussi un papi qui adorait prendre soin de sa petite-fille. Son décès a été un véritable choc pour les enfants comme pour moi. J'ai perdu ma moitié et eux leur papa poule. C'est toujours très difficile d'ailleurs. Je réalise un peu plus tous les jours, que c'est même plus qu'un choc pour nous. Il m'arrive de nourrir l'espoir qu'il rentre bientôt, même si je sais que ce ne sera pas le cas. Je me surprends à guetter l'heure de son retour... Il voulait qu'on repende ses cendres dans la mer. Nous le ferons aux Glénan lorsque tout le monde sera prêt pour cela."
Dans les mois qui ont suivi, Danielle a déposé plainte pour homicide involontaire dans le cadre du travail. L'enquête conjointe de la police et l'inspection du travail a été transmise au parquet en septembre 2022. " En fin d'année, j'ai voulu appeler pour savoir où en était le dossier car je n'avais aucune nouvelle. Mais à ma surprise générale on m'a répondu que celui-ci devait avoir été égaré car il n'y en avait aucune trace. On a perdu 6 mois ". Le dossier est aujourd'hui étudié par le parquet de Quimper qui décidera prochainement des suites à donner à cet accident mortel du travail. " Je bataille un peu seule, j'arrive à épuisement " confie Danielle. " Je n'ai toujours pas fait mon deuil, j'ai besoin d'avoir des réponses ". Les conclusions de l'enquête de l'inspection du travail devraient normalement permettre d'en savoir davantage sur les circonstances du drame.