C'était prévisible, comme à l'Open d'Australie et comme dans les autres tournois du circuit féminin, le conflit russo-ukrainien, qui se traduit par une guerre ayant commencé il y a plus d'un an lorsque la Russie a envahi l'Ukraine au-delà de la Crimée et du Donbass, s'est invitée à Roland-Garros. Dès le premier jour du tournoi, le 28 mai, des tensions sont apparues sur le court Philippe Chatrier à l'issue de la rencontre opposant la biélorusse Aryna Sabalenka à l'ukrainienne Marta Kostyuk, largement remportée par la première. En refusant de serrer la main de son adversaire, la joueuse née à Kiev, trente-neuvième à la WTA, a provoqué l'ire d'un public qui s'est mis à la siffler alors qu'elle quittait le court. Dans un moment de confusion, Aryna Sabalenka s'est alors tournée vers les factions hostiles en pensant que ces huées lui étaient adressées. Or, c'est bien l'ukrainienne qui en était la cible, si bien que lors de sa conférence de presse d'après-match, Kostyuk a été obligée de rappeler à quel point la situation chaotique dans laquelle se trouve son pays natal rend plus difficile que jamais la pratique au quotidien de son sport, notamment de par le fait qu'elle doit chaque jour prendre des nouvelles des membres de sa famille restés là-bas alors que l'envahisseur russe resserre son étreinte mortelle. Marta Kostyuk a aussi profité de cette prise de parole pour mettre les choses au point avec la franchise qu'on lui connait en s'en prenant directement à ceux qui l'ont sifflée à la fin de la rencontre et aussi à son adversaire du jour à qui elle a demandé une clarification de sa position sur la guerre, son pays, la Biélorussie, étant directement impliqué en tant qu'allié (on peut même dire vassal) de la Russie. De son côté, Sabalenka, numéro deux mondiale et championne de l'Open d'Australie, est restée assez évasive dans le peu de réponses qu'elle a apporté suite aux propos de l'ukrainienne, se contentant de répéter que si elle avait le pouvoir de stopper la guerre, elle le ferait sans hésiter. Pour ce qui est en revanche du rôle direct de son pays dans le conflit par l'entremise de son président Alexandre Loukachenko, dictateur, mais aussi tortionnaire et fraudeur, Sabalenka n'a adressé aucun commentaire, se contentant de redire qu'elle avait déjà répondu à ces questions, ce qui n'est pas vraiment le cas.Rarement on aura vu à Roland-Garros un public aussi odieux, même s'il existe bien sûr des précédents mais, pas aussi graves. L'on se souvient de rencontres très animées, à l'extrême limite du tolérable, lorsque que le soutien apporté aux joueuses ou joueurs français pouvaient amener les spectateurs à des dérives verbales ayant pour but de déstabiliser l'adversaire. Au fil du temps, avec le soutien indéfectible des médias sportifs français, la pratique, particulièrement abjecte et crapuleuse, est devenue courante. Sauf que, l'incident survenu sur le court Philippe Chatrier le 28 mai dernier s'inscrit dans un tout autre contexte sortant du cadre sportif et nous projetant directement dans l'horreur d'un conflit meurtrier ayant notamment coûté la vie à des centaines d'enfants. La gravité de l'acte entraîne aussitôt une question cruciale : pourquoi Kostyuk s'est-elle retrouvée au centre de l'incident alors que son pays a été victime d'une agression extérieure ? La réponse à cette interrogation demande sans doute quelques rappels importants qui vont permettre de combler les lacunes d'un public visiblement mal éduqué et qui ne semble pas avoir le recul nécessaire par rapport à la guerre russo-ukrainienne. D'abord, le fait que Marta Kostyuk refuse de serrer la main d'une joueuse russe ou biélorusse n'est pas quelque chose de nouveau (ce que certains ont l'air d'ignorer, aussi étrange que cela puisse paraître). Depuis que la guerre a commencé, en février 2022, Kostyuk refuse systématiquement de serrer la main des russes et des biélorusses qu'elle affronte sur les courts de tennis, et ce quelle que soit l'issue du match. Quand elle a gagné son premier tournoi WTA à Austin, au Texas, le 5 mars dernier, le public présent n'a pas été plus choqué que cela qu'elle ne serre pas la main de la russe Varvara Gracheva. Plus important encore, elle n'est pas la seule joueuse ukrainienne à avoir fait ce choix puisque toutes les autres, Elina Svitolina, Anhelina Kalinina, Lesia Tsurenko et Dayana Yastremska, entre autres, le font aussi. Il y a quelques jours, par exemple, le public français présent aux Internationaux de Strasbourg n'a absolument pas mal pris le fait que Svitolina n'ait pas serré la main de la russe Anna Blinkova après la finale. D'ailleurs, les deux joueuses se sont retrouvées face à face à Roland-Garros le 2 juin, sur le court Simonne Mathieu avec, au bout du compte, le même scénario, un refus de l'ukrainienne de serrer la main de son adversaire. Le public s'en est-il offusqué ? A-t-on entendu une bronca s'élever des tribunes ? Non. Le problème viendrait donc bien des deux principaux courts, Philippe Chatrier et Suzanne Lenglen, où s'entrecroisent des foules disparates, diverses strates de la société, dans lesquelles évoluent des individus plus enclins à la violence verbale que d'autres et dont les facultés d'analyse vont être affectées par une approche plus frontale et moins nuancée de la diversité du monde qui les entoure. Le thème russo-ukrainien étant extrêmement délicat à aborder, certains sont alors tentés de choisir une approche simpliste, sans le moindre approfondissement et sans recul, en se contentant de dire que l'Ukraine est le méchant de l'histoire, la Russie le gentil (ou vice versa) et que Loukachenko se contente de suivre le courant là où il l'emmène. C'est logiquement dans cette pauvreté intellectuelle, sevrée à la télé-réalité et totalement déconnectée des vrais problèmes, dans ces cerveaux aseptisés à l'intérieur desquels ne résident plus que deux neurones qui se battent en duel, que l'imbécillité prend sa source.Dès lors, le ciblage sur Marta Kostyuk est tout trouvé. Bien que moyennement classée et peu à même de rivaliser avec les meilleures, l'ukrainienne jouit malgré tout d'une certaine exposition médiatique, non seulement de par sa personnalité affirmée, son caractère rebelle qui ne laisse pas indifférent et les facultés naturelles dont elles disposent pour mener à bien une carrière extra-sportive s'appuyant sur une gestion de son image via ses différents sponsors. À partir de ces éléments, les médias n'ont plus qu'à appliquer une stratégie du pourrissement visant à faire de Kostyuk la vilaine de l'histoire. Leur infamie est d'autant plus grande qu'ils vont parvenir à faire croire à ceux dont l'esprit est le plus influençable que Sabalenka est la plus à plaindre dans cette histoire. La biélorusse a en effet connu une première semaine agitée, même si par un truchement des plus habiles, elle est arrivée, peut-être sans le vouloir, à se mettre le public dans la poche. Sa révérence à la foule après sa victoire contre Kostyuk au premier tour était aussi maladroite que malvenue, inutile par rapport au contexte et surtout inhabituelle venant de cette joueuse. Mais, dans une volonté pure d'orchestration savamment dosée, le geste avait une lourde connotation, comme si Sabalenka voulait faire passer un message au public du court Philippe Chatrier en lui disant : "Regardez, je ne suis pas la méchante". Astucieux bien que risqué car, au bout du compte, c'est son adversaire ukrainienne qui a rattrapé la balle au vol en déclarant lors de son point presse d'après-match qu'elle ne détestait pas Sabalenka (ce que cette dernière semblait affirmer avant la rencontre en se posant en victime) mais, qu'elle n'avait pas pour autant de respect pour la numéro deux mondiale, attendant de celle-ci qu'elle prenne clairement position pour ou contre la guerre en Ukraine. Ainsi, en moins de temps qu'il n'en a fallu, les mots de Kostyuk ont été suivis d'effets quasi immédiats. Après sa victoire au second tour contre sa compatriote Iryna Shymanovich, bien moins sollicitée par les médias de par son peu de notoriété, Sabalenka s'est vue bousculer par une presse offensive qui lui a demandé clairement ce qu'elle pensait de la position de la Biélorussie dans le conflit. En guise de réponse, la lauréate du dernier Open d'Australie a opposé une fin de non recevoir en déclarant qu'elle n'avait aucun commentaire à faire. Encore mieux, après sa victoire expéditive au troisième tour contre la russe Kamilla Rakhimova, alors qu'on la sentait, comme à son habitude, encore frustrée durant toute la partie, s'en prenant à elle-même à chaque point raté, elle a demandé à l'organisation que sa conférence de presse d'après-match soit annulée, la biélorusse ne se sentant, je cite, pas en sécurité, assurant par la même occasion qu'il en allait de sa santé mentale. Pas en sécurité, les mots à peine lâchés, l'on pouvait ne s'empêcher de penser aux familles restées en Ukraine dont la vie est mise en danger chaque jour par les bombardements russes. On n'ose à peine imaginer aussi ce que Kostyuk, Svitolina ou Yastremska (qui a fuit son pays natal avec sa sœur au début du conflit) ont pu ressentir en écoutant Sabalenka. Mais voilà, les pions sont avancés. En devenant la victime d'une guerre à laquelle son pays participe activement aux côtés de la Russie, et avec l'aide de médias attardés qui ne prennent plus le temps de faire le décryptage nécessaire pour informer les populations, Aryna Sabalenka a en quelque sorte inversé les rôles en se faisant passer pour le petit ange sans histoire. Or, il faudra bien, à un moment ou à un autre, que les masques finissent par tomber. Comment se fait-il qu'une joueuse aussi médiatique, sans doute appelée à gagner d'autres tournois du Grand Chelem et à devenir numéro une mondiale, ne se soit toujours pas exprimée clairement sur ce sujet ô combien délicat, alors qu'il y a bien longtemps déjà que sa compatriote Victoria Azarenka l'a fait en se positionnant ouvertement contre la guerre ?Aryna Sabalenka n'est pas la seule à blâmer, bien entendu. On ne serait d'ailleurs pas étonné qu'il y ait du bon en elle. Ce qu'il faut blâmer en revanche, et il faut le faire avec force, c'est l'inconscience d'une caste de médias pyromanes qui ne cessent de rajouter de l'huile sur le feu dans le seul et unique but d'entretenir le chaos, ainsi que la naïveté d'un public bête comme ses pieds prenant pour argent comptant tout ce qu'on veut lui faire croire. C'est ici et nulle part ailleurs que réside le risque d'une explosion majeure qui ne ferait qu'envenimer les choses. Ceux qui ont un devoir de vérité devraient alors réagir au plus vite avant qu'il ne soit trop tard.