Lourd
J’aurais aimé que la blancheur de la page m’aspire comme une eau claire où plonger, rapide, vivifiante, entrainante
Mais c’est le lourd qui est là.
Lourd
Ce mot si simple, si évident, qui me pèse dans la gorge.
Lourd dès la langue.
Lourd comme l’effort qui m’attend
Sortir hors de moi-même, hors de ma vie, pour écrire du soubassement, du si bas, du si profond.
Je m’échappe comme je peux mais ce velours aux lèvres, si soyeux, m’absorbe dans sa douceur.
Ma vie est si douce que l’effort d’écrire est un arrachement.
Les mots doivent sortir parfois par le coup du bourreau qui fait exploser la jambe.
Je n’écris pas avec l’autorisation, je dois crier, cracher mon cri.
Le mot, une fois posé, est d’une telle revendication que j’ai peur de sa lame.
Tant qu’il est retenu dans le fin fond de mon ventre, dans le monde invisible, la paix règne sur le monde, mais écrire c’est risquer le chaos.
J’écris de la femme heureuse que je suis.
Aimée, accompagnée, jamais forcée.
J’écris de cette place, minuscule, que m’ont faites à la force de leurs bras mes ancêtres, et si je connais peu leur chemin, je sais suffisamment la peur du noir.
Je leur dois.
Du haut de ma joie, édification hétéroclite et instable de pleins et de vides, je tiens en équilibre.
Comme tout ceci est fragile. Le vertige de l’écriture me rappelle combien je suis faite de doutes de toutes sortes, mais qu'aucun d'eux n'est assez bancal, au final, pour m'empêcher de construire. Aucun doute n'est suffisamment raisonnable pour nuire à ma folle détermination.
Le seul risque c'est la douceur des choses...
comme une main sur une peau de velours...
ça glisse.
J’écris comme on commet un crime de lèse majesté au bonheur souverain.
Je risque de tout perdre pour consacrer l’écriture.
Tour à tour proie et prédatrice, je rôde au dessus de la page guettant le mot, prête à plonger, mais ne lâchant jamais du regard le doute dans mon dos. L’écrivaine se déploie ainsi de tous ses bras, de tous ses yeux, de toutes ses bites, elle est partout, combattante et suppliante.
Du bonheur ou de l’écriture, quel est le monstre ?
Faut-il que l’un avale l’autre, nécessairement ?