Zazen ?
" C'est être assis comme un bébé est allongé dans son berceau !" (Michiko Nojiri)
C'est avec Michiko Nojiri San que j'ai appris et exercé la cérémonie du thé (ChaDo).
Cette indication - qu’elle énonçait à chaque leçon, lors du zazen inaugural - nous met à l'abri des représentations conceptuelles par lesquelles nous instituons mentalement ce qu'est le Zen et ce que peut bien être l'exercice appelé zazen (ce que des personnes qui ne pratiquent pas zazen s'autorisent à faire !).
Le zen, qui a influencé profondément toute la culture japonaise à partir du douzième siècle, est une recherche de l'appréhension directe du réel et de l'appréhension directe de notre propre essence.
Suite à une immersion dans le monde du Zen pendant une dizaine d'années, Graf Dürckheim est rentré en Europe convaincu que le Zen - dans ce que cette tradition de sagesse recèle d'universellement humain - pourrait influencer profondément la culture occidentale. À une condition : ne pas aborder cette Voie à travers notre entendement, c'est à dire la pensée, le raisonnement, l'analyse et comme c'est le cas aujourd'hui, en cherchant à objectiver ce chemin d'expérience et d'exercice par des mesures quantitatives.
Lorsque je contemple la photo de ce bébé je ne cherche pas à comprendre mais je VOIS ce que nous disait Graf Dürckheim. « Il y a deux approches du réel. L'esprit occidental PENSE le réel comme étant un ensemble d'objets ; l'esprit oriental VOIT le réel comme étant un événement, un ensemble de processus ».
Cette photo m'invite à relire ce qu'écrit Christian Bobin (1)
: « Les bébés sont les grands sages. Le vrai savoir est dans leurs yeux (...) C'est le visage même de la sagesse qui n'est pas un visage de savoir. Je comprends qu'on ait représenté le Bouddha sous des formes toutes gélatineuses de bébé.
Ils ont plusieurs vertus, ces gens qui ont très peu de jours. Une de leurs grandes vertus est de ne pas être aveuglés par un savoir. Ils regardent sans morale, sans philosophie, sans religion, sans aucune précaution. Il n'y a aucune distance entre leurs yeux et Dieu ou les anges, ou les atomes de l'air si on ne croit pas en Dieu ou aux anges. Les bébés sont à une cloison de papier de riz de la vérité. »
Quelques pages plus loin le poète qui, comme Monsieur Jourdain semble avoir pratiqué le Zen sans le savoir, ajoute : « Il y a un moment où chacun est obligé de comprendre d'une autre manière que par la compréhension analytique. Il faut peut-être comprendre par l'arrière de la tête, ou par ses yeux, ou par l'enfant qu'on était. Mais surtout ne pas comprendre par l'adulte qu'on se croit tenu d'être ».
Dans les années 1960 Graf Dürckheim écrivait :
« Si l'Occidental perçoit l'impasse à laquelle sa pensée l'a conduit, il reconnaîtra qu'il est vain d'essayer d'en sortir par les moyens mêmes qui l'ont créée. Si, par ailleurs, il renonce à la solution facile de la fuite, il sera obligé de prêter l'oreille à la voix de son être essentiel, insaisissable à la pensée objective ».
Quand et comment allons-nous arrêter de fuir l'essentiel ?
Les activités proposées au Centre Dürckheim incarnent la réponse à cette question. L'éveil de l'homme à son être essentiel, à ce que le maître zen désigne comme étant la vraie nature de l'être humain, la libération du vrai soi n'est pas dû au fait que l'homme soit bouddhiste, chrétien ou athée mais au fait qu'il est un être humain.
Jacques Castermane
1 : Christian Bobin - "Le plâtrier siffleur" - Ed. Poesis
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