L'ère postmoderniste a fait progresser la compréhension de phénomènes sociaux à travers différents paradigmes. N'en demeure pas moins un constat frappant. La littérature scientifique montre que les chercheurs dans le domaine environnemental ont fréquemment recours aux mêmes approches quantitatives, c'est-à-dire qu'ils utilisent des questionnaires pour mesurer les comportements écoresponsables (une moyenne de 81 % d'études, tous pays confondus, utilise une approche quantitative). Ces méthodes sont dominées par le paradigme positiviste. Les chercheurs adhérant à cette posture épistémologique cherchent à expliquer la réalité humaine par des relations causales et tentent de s'approcher de l'objectivité. Rares sont les chercheurs qui prennent le risque de faire de la recherche purement qualitative en utilisant les entretiens individuels ou les groupes de discussion pour collecter des données (une moyenne de 3 % d'études utilise une approche qualitative, le pourcentage restant est associé aux approches mixtes). Une lecture du monde environnemental dominée par la recherche quantitative n'est pas sans conséquence. Ces statistiques devraient inquiéter le milieu de la recherche.
Les études en découlant sont régulièrement contestées et font l'objet de critiques fécondes. Par exemple, en 2019, deux chercheurs, Lange et Dewitte, ont mis en lumière les limites des approches quantitatives pour mesurer les comportements écoresponsables. Ces derniers estiment qu'il demeure difficile d'affirmer avec certitude, en s'appuyant sur des données statistiques, qu'un type de comportement prédéfini est " meilleur " qu'un autre. Ils montrent à travers divers exemples qu'il est peu probable qu'une échelle de mesure ait la même signification pour tous les répondants. En ce sens, ils critiquent la fréquence d'adoption d'un comportement mesuré par les échelles de type Likert, allant de " souvent " à " jamais ", catégories qui n'ont pas la même connotation pour tous. Des questions légitimes se posent : un questionnaire permet-il systématiquement d'établir une différence entre les croyances des répondants envers l'environnement et les observations inhérentes à une situation particulière? Autrement dit, ce type d'étude hypothético-déductive permet-il de déterminer ce qui relève du phénomène empirique et de l'interprétation du répondant? Peut-on être certain que la mobilisation environnementale a la même signification dans les différentes régions du monde ou au sein de secteurs d'activité distincts? Dès lors, pourquoi essaie-t-on à tout prix de généraliser ce type d'approches?
Une explication plausible concerne la dépendance des chercheurs aux revues scientifiques et la nécessité pour eux de publier rapidement et souvent. Des chercheurs critiquent fortement ce système affirmant que les revues scientifiques sont la condition sine qua non de la vie universitaire du début du XXI e siècle, du moins dans les écoles de gestion.
La valeur du chercheur sur le marché universitaire augmente donc en fonction du nombre de ses publications. Afin d'entrer dans le moule, celui-ci est incité à se soumettre aux exigences éditoriales parfois plus sensibles aux formalités techniques (par exemple, respect des normes de formatage de manuscrit et d'un nombre maximum de mots) qu'aux idées novatrices en lien avec de réels enjeux de société. En effet, l'espace pour développer de nouvelles idées et remettre en question des théories est souvent restreint au strict minimum. Qui plus est, l'utilisation d'un classement de revues, pour établir les salaires et les budgets octroyés aux chaires de recherche, stimule les chercheurs à publier dans des revues répertoriées et indexées, comme celles du Financial Times, aussi appelé le Top50, plateforme visant à classer les " meilleures revues " en gestion. En fonction de ces nouveaux critères de performance, au sein du milieu universitaire, les chercheurs sont parfois contraints d'altérer l'objectif principal de leur étude qui consistait généralement à présenter de " nouvelles découvertes ", et ce, dans le but ultime de publier autant d'articles que possible. Cette tendance éditoriale entraînera-t-elle un affaiblissement de la rigueur des études scientifiques sur les comportements écoresponsables qui semblent souvent ne pas tenir compte des réalités contextuelles intrinsèques aux secteurs d'activité?
Bien que l'objectif ne soit pas de discréditer certaines approches méthodologiques, car la recherche qualitative peut aussi être tendancieuse, ces arguments plausibles portent à croire que pour faire évoluer la recherche dans le domaine environnemental, une pluralité de méthodes doit coexister. Autrement dit, un dialogue entre les diverses approches est nécessaire et même souhaitable pour faire progresser notre compréhension des comportements écoresponsables, sans quoi la recherche tendra, de plus en plus, à offrir une seule et unique lecture du monde. Bien qu'elle soit parsemée d'écueils, l'intégration de différentes approches méthodologiques innovantes semble la voie à suivre pour les chercheurs qui souhaitent enrichir le champ de la recherche environnementale.
Lieu de rédaction : Le Paltoquet, rassasiée par une chocolatine
Musique dans les oreilles : Nina Simone
À lire : Méthodes de recherche qualitatives innovantes, Éditions Economica