S’inspirant d’une scène marquante de son enfance, l’auteur dont les ouvrages ont été adaptés par Clint Eastwood (Mystic River), Ben Affleck (Gone Baby Gone) et Martin Scorsese (Shutter Island) nous propulse à Boston en 1974. Dennis Lehane n’avait que neuf ans à l’époque où sa ville natale s’est retrouvé en pleine ébullition suite à la décision d’un juge fédéral qui, afin de favoriser la mixité, venait de décréter la déségrégation des écoles publiques de la région de Boston. Afin de briser les frontières entre des quartiers populaires majoritairement blancs et majoritairement noirs, les autorités ont en effet instauré un système appelé « busing », affrétant des bus pour transporter des élèves afro-américains dans les écoles exclusivement blanches et vice-versa.
C’est dans cette ambiance de révolte historique que Dennis Lehane invite à suivre les pas de Mary Pat Fennessy, une Irlandaise pur jus issue de la classe ouvrière du quartier irlandais de South Boston, qui ne voit pas cette nouvelle loi d’un bon œil et qui compte d’ailleurs aller manifester afin d’éviter que sa fille de dix-sept ans se retrouve quotidiennement dans un quartier peuplé de nègres. Et oui, l’héroïne de ce roman est une femme forte, élevée à la dure et affublée d’un caractère bien trempé, mais c’est également une irlandaise bagarreuse, portée sur la boisson et foncièrement raciste…comme la plupart des gens de sa communauté… même si cela n’est pas forcément une excuse valable.
Dennis Lehane nous plonge donc une nouvelle fois au cœur d’une communauté irlandaise de Boston pauvre, raciste, ségrégationniste et pas vraiment étrangère aux violences raciales qui font rage. Bourrée de préjugés transmis au fil des générations par cette communauté bâtie sur des liens familiaux, mafieux et communautaires forts, Mary Pat va progressivement prendre conscience des dangers de cet engrenage destructeur visant à entretenir une haine basée sur la différence, pour finalement incarner ce merveilleux cri de rage qui pousse à crier STOP au racisme !
« Appelez-les niaks, appelez-les nègres, appelez-les youpins, micks, métèques, ritals ou bouffeurs de grenouilles, appelez-les comme vous voulez, pourvu que vous leur colliez un nom quelconque qui enlève une couche d’humanité à leur corps quand vous les évoquez. C’est ça le but recherché. Si vous pouvez faire ça, vous pouvez faire en sorte que des jeunes hommes traversent des océans pour aller tuer d’autres jeunes hommes, ou vous pouvez aussi les faire rester ici chez eux, et leur faire faire la même chose. »
« Le Silence » est donc surtout une prise de conscience, un cri du cœur émanant d’un magnifique portrait de femme, qui invite à réfléchir sur les origines du racisme actuel aux États-Unis, à s’ouvrir au changement, à s’extraire d’un héritage ségrégationniste, à ne plus transmettre bêtement la haine de l’autre à la génération suivante car la misère sociale ne doit pas forcément aller de pair avec la pauvreté intellectuelle.
« Vous avez élevé une enfant qui pensait que haïr des gens parce que Dieu leur a donné une couleur de peau différente était quelque chose de normal. Vous avez autorisé cette haine. Vous l’avez probablement engendrée. Et votre gamine et ses amis racistes tels que vous, ont été lâchés dans le monde pareils à des putains de grenades bourrées de haine et de stupidité… »
Coup de cœur !
Le Silence, Dennis Lehane, Gallmeister, 448 p., 25,40€
Elles/ils en parlent également: Anthony, Pierre, Yann, Rose
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