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Le meilleur des mondes (Aldous Huxley)

Par Hiram33

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Ce roman a été publié en 1932. Il narre une utopie futuriste et pessimiste. En 2500, le monde uni est gouverné par une oligarchie. Dieu est devenu Notre Ford auquel on voue un culte puisque le monde est voué à la surproduction, à la surpopulation et à la surconsommation. La technique règne pour assurer la réalisation de la devise de l’Etat : « Communauté, Identité, Stabilité », toutes les ressources de la science sont mises en œuvre. La génétique a progressé au point d’assurer la reproduction des citoyens dans des éprouvettes où  chaque classe sociale est ainsi préconditionnée à son rôle futur. Une différence d’oxygénation produit des types Alpha, Béta, Gamma, etc. jusqu’aux Semi-Avortons et Avortons du prolétariat voués aux tâches répugnantes. Le processus de Bokanovsky permettant d’obtenir soixante jumeaux identiques d’un même œuf, les esclaves sont des sortes de robots mais n’ont pas conscience de leur esclavage. Le conditionnement du premier âge suscite l’horreur du beau et du gratuit, l’hypnopédie apprend à chacun le bonheur attaché à sa place dans la hiérarchie, et tout le monde nage dans la joie. En cas de défaillance euphorique le « soma » est d’ailleurs à portée de la main. Les loisirs sont meublés par des voyages, des cérémonies religieuses et érotiques entre personnes stérilisées et stimulées au besoin par des pilules. La mort est remplacée par une vieillesse galopante et l’euthanasie suivie d’incinération. La littérature, la religion traditionnelle, la famille ont disparu, tandis que parler d’amour ou de parents est de la dernière indécence. Tandis que le directeur-dictateur Mustapha Menier veille sur le Bonheur pour Tous, la logique impeccable de cette vie absurde se détraque. Un peu de l’alcool réservé aux Gammas n’a-t-il pas été versé par erreur dans l’éprouvette d’un Alpha Plus ? Bernard Marx, ingénieur en hypnopédie, se révèle curieusement anormal : gêné par ses inférieurs, pris de désirs amoureux et de pudeurs étranges, il se pose des problèmes que le soma ne résout pas pus que la belle Lenina. On l’exile dans une île lointaine, en l’occurrence une réserve de « Primitifs » du Nouveau-Mexique. Il en ramènera « un bon sauvage » qui distrait un instant la foule civilisée avant de connaître une fin désespérée et tragique. John Le Sauvage, c’est l’homme de notre siècle qui a lu Shakespeare, a des sentiments non conditionnés et connaît la souffrance. Devant le spectacle du bonheur imposé il choisit le mysticisme et la mort.

Tous les personnages de Huxley se heurtent-ils donc au monde sans faille de la médiocrité standardisée et n’y a-t-il aucune issue dans l’utopie de Ford ? Apparemment pas. Marx, qui voudrait aimer, et Helmholtz, l’ingénieur en mécanique émotionnelle qui voudrait être écrivain, sont exilés. John se suicide. Vingt avant la bombe atomique, l’auteur dépasse, dans un style qui rappelle Voltaire et Anatole France, les critiques que Priestley adressait à une Angleterre américanisée dans English Journey.

Au-delà du 1984 d’Orwell, il nous transporte dans un univers dont la vérité prémonitoire donne encore le frisson. De nos jours l’évolution des Etats-Unis et la mise au point des techniques décrites dans Le Meilleur des Mondes rendent celui-ci moins invraisemblable, mais en 1932 on vit dans cette utopie de science-fiction  une brillante invention teintée de pornographie plus que cet assemblage d’intelligence et de culture qui devinait les formes de notre futur.

Le livre laisse pourtant une impression d’inachevé, de déséquilibre malgré le brio de sa critique ; l’anarchie qu’il préconise n’est pas révolutionnaire, elle préconise une réforme des âmes plus que des structures et des institutions. Les solutions se perdent dans un mysticisme décevant.

Dans la préface qu’il écrivit en 1946 pour Le Meilleur des Mondes dont un million d’exemplaires étaient alors vendus, Huxley ne préconise pas d’autres antidotes au « monde meilleur » que la « conquête de la liberté dans une non-violence stoïque » et la « décentralisation de la science appliquée, et son utilisation non comme une fin vers laquelle les hommes deviennent des moyens, mais comme le moyen de produire une race d’individus libres ».

Le meilleur des mondes, exploite elle aussi, dès 1932, les diverses possibilités offertes par la biologie. Si l’essentiel de l’œuvre réside dans l’anticipation sociologique et dans la peinture hallucinante d’un univers parfaitement conditionné et dictatorial, les deux premiers chapitres, qui nous convient à une visite guidée du Centre d’incubation et de conditionnement de Londres-central, relèvent directement du thème de la création artificielle. Le frère aîné de l’écrivain, Julian, est tenu pour l’un des biologistes influents du XXe siècle, et Aldous Huxley lui-même aurait souhaité se consacrer à la recherche médicale. Ses connaissances dans ce domaine lui permirent donc de peindre avec une vraisemblance troublante cette société futuriste. En l’an 2500, on ne « naît » plus. La reproduction vivipare appartient à un passé lointain, aux connotations indécentes, et a depuis longtemps été remplacée par l’ectogenèse. Tous les membres de la société sont donc le produit de la fécondation in vitro, leur développement étant assuré, depuis la salle de fécondation jusqu’à la salle de décantation, dans le tube à essai et la couveuse, avant la mise en flacon définitive. L’utérus maternel (une obscénité) est remplacé par un lit de péritoine de truie, une pompe à pseudo-sang assure la circulation maternelle artificielle, et divers autres appareillages font ainsi croître l’embryon jusqu’à « l’existence indépendante » (belle antiphrase !) du deux cent soixante-septième jour.

Le tout n’est cependant pas « de couver simplement des embryons : cela, n’importe quelle vache est capable de le faire ». En réalité, les techniques de procréation artificielle permettent de « quitter le domaine de la simple imitation stérile de la nature, pour entrer dans le monde beaucoup plus intéressant de l’invention humaine ». Le but de l’État mondial est en fait de fabriquer des « êtres vivants socialisés », prédestinés génétiquement à la tâche qu’ils devront accomplir. Si les Alphas et les Bêtas se développent sans manipulation génétique, les Gammas, les Deltas et les Epsilons, eux, sont soumis, au bout de trente-six heures d’existence, au Procédé Bokanovsky. Même si le terme n’est pas explicitement prononcé, et même si Huxley donne de la technique une version fantaisiste, il s’agit là, par anticipation, d’un procédé de clonage.

Tous les membres de la communauté sont par ailleurs soumis à un conditionnement approprié. Il existe un conditionnement pour Intellectuels Alpha-Plus, un conditionnement à la chaleur pour les embryons destinés à travailler sous les tropiques ou dans les aciéries, un conditionnement pour les « mécaniciens embryonnaires d’avions-fusées » qui apprennent à associer la position renversée (tête en bas) avec le bien-être, etc.

Le sexe des créatures est lui aussi contrôlé. « Dans l’immense majorité des cas, la fécondité est tout bonnement une gêne » et on ne laisse donc se développer que trente pour cent des embryons femelles, les autres étant destinés à devenir des « neutres » - stériles. Une seule chose semble en fait jusqu’ici résister à la technique : la durée de maturation humaine.


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