Quatrième de couverture :
Il faut que Saul Indian Horse raconte son histoire, qu’il se remémore son enfance rythmée par les légendes ojibwés, la récolte du riz et la pêche ; son exil l’hiver de ses huit ans et son adolescence, passée dans un internat où des Blancs font tout pour effacer en lui son indianité. C’est pourtant au cœur de cet enfer qu’il trouve son salut, grâce au hockey sur glace. Joueur surdoué, Saul réussit à rejoindre l’élite du sport national, mais c’est sans compter le racisme qui règne dans le Canada des années 1970.
Richard Wagamese (malheureusement décédé assez jeune en 2017, à l’âge de 61 ans) appartient à la nation amérindienne ojibwé, originaire du nord-ouest de l’Ontario. Sa propre expérience l’a sans doute inspiré pour se mettre dans la peau du narrateur de ce roman, Saul Indian Horse, qui, au début, est interné dans un centre de désintoxication pour alcooliques et qui ne parvient pas à verbaliser son expérience et ses émotions : il est donc invité par un soignant à écrire son histoire, celle que nous allons découvrir au cours de ce roman construit sur 250 pages.
Saul raconte son enfance ojibwé jusqu’à ses huit ans, la famille déjà acculée à des marches pénibles par les Blancs mais guidée par la grand-mère qui connaît la vie en forêt, les déplacements bénéfiques suivant les saisons, les plantes à utiliser pour soigner, le contact avec les esprits de la famille et de la nature ; les parents de Saul, déjà déconnectés de cette vie dans la nature, marqués par l’alcool, « la boisson des Zhaunagush » (hommes blancs) et par la perte de deux enfants enlevés et emmenés dans des pensionnats blancs ; le grand frère de Saul, Benjamin, qui parvient à s’en enfuir mais en revient avec une tuberculose mortelle ; la dislocation de la famille suite à cette mort. Saul restera avec sa grand-mère qui le guidera et le protégera tant qu’elle peut, jusqu’à l’épuisement. Le garçon connaîtra à son tour le pensionnat de St Jerome’s et son lot de souffrances physiques et psychologiques, des traitements inhumains, dégradants dans ce qui n’a d’école que le nom.
Un jour, un nouveau religieux, le père Leboutilier, se met à initier les garçons au hockey. Il repère rapidement le talent inouï de Saul qui semble « voir » le jeu et s’y adapter à merveille. Dans les matches entre écoles, l’enfant, encore petit et maigre, est vite repéré ; il s’entraîne durement et progresse rapidement. Il est envoyé par le prêtre dans une famille dont les parents ont eux-mêmes été à St Jerome’s et dont le père est entraîneur et joueur. Saul, de plus en plus repéré, est amené à jouer en dehors des réserves indiennes, jusqu’à une équipe de Blancs où il subira le racisme « ordinaire » envers les Indiens. Et plus il progresse dans les échelons de ce sport, moins il s’y sent heureux, car le racisme et la violence qu’on l’invite à exercer en retour rendent le hockey impur pour lui. Il finira par tout lâcher et partir sur les routes, travaillant au gré des occasions et tombant lui aussi dans l’alcoolisme. Il porte en lui une colère, une rage inexprimables, inguérissables. Jusqu’à ce qu’il trouve le chemin de la rédemption.
Ce roman m’a bouleversée. Je connaissais le fait historique mais je n’avais encore jamais lu de fiction sur ce phénomène des pensionnats de religieux et religieuses blancs faits pour extirper la « sauvagerie » dans les enfants indiens, en faire des gamins sans racines, sans aucun sens à leur vie, de parfaits petits esclaves dans ces soi-disant écoles. Richard Wagamese raconte cela avec une grande simplicité, et c’est implacable. Il raconte aussi le hockey sur glace sans fard mais même si vous ne goûtez pas ce sport, vous ne pouvez pas ne pas vous y intéresser grâce au talent de Saul. Il laisse aussi la place à la nature, celle à laquelle on a arraché le jeune Ojibwé, mais avec laquelle il parviendra à renouer, au lac de ses ancêtres.
Après la lecture de Les étoiles s’éteignent à l’aube, voilà – s’il en fallait une – la confirmation que Richard Wagamese est un immense auteur, incontournable.
« On dit que nos pommettes ont été taillées dans ces chaînes granitiques qui s’élèvent au-dessus de notre patrie. On dit que le brun profond de nos yeux a suinté de la terre féconde autour des lacs et des marécages. Les Anciens disent que nos longs cheveux raides viennent des herbes ondulantes qui tapissent les rives des baies. Nos pieds et nos mains sont larges, plats et forts comme les pattes d’un ours. »
« Quand on t’arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d’où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés comme arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C’est l’enfer sur terre, cette impression d’être indigne. C’était ce qu’ils nous infligeaient. »
« Nous étions comme du bétail. C’est ainsi que nous étions traités. Nourris, abreuvés, contraints de porter notre fardeau quotidien et rentrés à l’abri pour la nuit. Quiconque s’esquivait ou se plaignait était battu devant tous les autres. C’était peut-être cela le plus grand crime : nous rendre complices en faisant de nous des témoins silencieux et impuissants. »
« C’est à l’intérieur que j’avais mal. M’enlever à la forêt et à mon peuple, c’était comme d’avoir déchiré la peau du ventre. Chaque fois que je bougeais ou qu’on m’obligeait à parler, il rugissait son inconcevable douleur . C’est ainsi que j’en vins à m’isoler… Je compris que je pouvais aspirer en moi les limites de mon être physique , réduire l’espace que j’occupais pour devenir un grain , une poussière , un atome indifférent sur sa propre orbite. »
« Ce sport si bien ordonné et à la vitesse explosive, que j’apprenais à pratiquer, m’enthousiasmait. Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l’une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un indien. »
Richard WAGAMESE, Jeu blanc, traduit de l’anglais par Christine Raguet, Editions Zoé, 2017
C’est une lecture commune avec Ingamnic qui nous propose de lire cette année sur les minorités ethniques. Son avis est ici.