L'américaine Truist annonçait hier le lancement d'une intéressante application destinée à aider ses utilisateurs à améliorer leur bien-être financier. Seul bémol, il s'agit, pour l'essentiel, du même logiciel que distribuait la jeune pousse Long Game avant son acquisition par la banque… il y a juste un an. Que de temps et d'énergie perdus !
Le principe reste toujours aussi trivial : une fois inscrit, le nouveau venu est invité à décrire ses projets d'avenir et à définir les objectifs d'épargne qui lui permettront de les réaliser. Le compte sur lequel sont déposées ses économies étant connecté aux algorithmes, chaque progrès enregistré donne lieu à l'attribution de points qui, à leur tour, ouvrent l'accès à des jeux, connotés d'éducation financière et assortis de récompenses en argent sonnant et trébuchant qui alimentent directement la cagnotte en cours.
Par rapport au titre d'origine de Long Game, la seule évolution majeure apparente est l'obligation pour les participants, à l'issue d'une courte période d'essai, de détenir le compte récepteur auprès de Truist (assez logiquement, aucune intégration avec des établissements concurrents n'est autorisée). Pour le reste, rien ne semble avoir changé, dans les mécanismes mis en œuvre, dans les contenus proposés, dans le style graphique… Il y aurait pourtant matière à enrichir la solution, sur de nombreux fronts.
La première idée qui vient à l'esprit par les temps (inflationnistes) qui courent consisterait à ajouter au seul registre actuel de l'épargne une dimension de maîtrise des dépenses et/ou de réduction de l'endettement. Moins ambitieux, le renforcement des composantes pédagogiques contextuelles paraîtrait également bienvenue. Enfin, pour un titre qui vante son ancrage dans l'économie comportementale, une interaction avec les comptes du client afin de l'assister dans ses efforts de gestion budgétaire serait un minimum.
Mais qu'a donc fait la banque pendant les douze mois écoulés depuis son achat ? Elle s'est d'abord perdue dans une tentative de convertir la startup en une sorte de laboratoire d'innovation, la Truist Foundry, dont le seul résultat à ce jour est… la publication de Long Game ! Elle a aussi cherché un modèle de rentabilité pour ce dernier. La démarche est absolument légitime, d'autant plus qu'on peut soupçonner que son absence était une des raisons de la vente de l'entreprise, mais son aboutissement est pour le moins contestable, avec ses exigences ridicules de dépôt minimum avant de pouvoir jouer.
Selon toute vraisemblance, parce que tel est le fonctionnement habituel d'une institution financière, beaucoup de temps et de ressources ont été consacrés aux contrôles et ajustements jugés indispensables sur le produit, avant toute publication sous la marque Truist, en matière de sécurité, de conformité réglementaire et, peut-être (probablement) d'infrastructures informatiques (de manière à les aligner avec les standards internes). Au-delà du pilotage des risques, ces manœuvres ont surtout pour but pour la banque de marquer son emprise sur l'équipe issue d'un autre univers, considéré peu sérieux.
Cette histoire n'est qu'une illustration supplémentaire de la difficulté pour les grands groupes de satisfaire leurs ambitions fréquemment affirmées d'accélérer l'innovation grâce à l'acquisition de jeunes pousses agiles. Les excès de prudence et l'irrépressible désir de faire rentrer le trublion dans le moule commun conduisent à des délais inacceptables, qui non seulement font dérailler la promesse de départ mais engendrent en outre des frustrations dangereuses chez les employés intégrés dans l'opération.