Erreur : nous sommes en 1082 !
Le décor est donc celui de la fin du 11ème siècle, le long de la frontière fluctuante entre les royaumes chrétiens et les taïfas musulmanes, les uns et les autres combattant sans relâche, soit pour arrondir leur territoire soit pour se combattre entre frères ennemis.
Ruy (Rodrigo) Diaz de Vivar dit El Campéador ou Sidi Quambitur est né en 1043. C’est le capitaine d’une troupe de mercenaires chrétiens employé au service du roi Sanche II de Castille, puis de son frère Alphonse II que celui-ci a fait assassiner pour lui ravir le trône. Contraint à l’exil par Alphonse, Ruy loue ses services et ceux de sa troupe à qui veut employer ses talents de chef de guerre déjà auréolé du parfum de la victoire.
Humilié par le comte Berenguer-Ramon II de Barcelone, il rejoint Al-Mutaman, roi musulman de Saragosse. Il est loyal à celui qui le paie, lui et les soldats de métier dont il assume toute la responsabilité, ceux qui l’ont suivi dans l’exil comme ceux qui l’ont rejoint par la suite. La relation entre ces deux êtres d’exception, malgré la différence de leurs croyances, sera faite de respect et même d’amitié.
C’est là que se déploie tout l’art de conteur d’Arturo Pérez-Reverte : son expérience de correspondant de guerre au cœur des conflits en Europe et au Moyen-Orient, sa connaissance des sentiments des chefs avant la bataille, la lutte pour la survie, la ténacité au cours des combats sanglants.
La description de l’équipement des combattants – le heaume, la cotte de mailles, les armes blanches, les boucliers, les destriers – nous font penser à la fois aux protections dont sont équipés aujourd’hui les combattants ukrainiens et aux guerriers de Guillaume le conquérant à la même époque.
C’est un roman d’action, certes, mais surtout de psychologie, de relations entre soldats, entre chrétiens et musulmans, d’hommes pour lesquels l’honneur est une valeur sacrée, mais la cruauté des batailles intense.
L’essentiel de l’ouvrage est consacré à la description d’une campagne particulièrement sanglante et au sort incertain : la bataille d’Almenara qui opposa Al-Mutamán, roi de Saragosse contre son frère Mundir, gouverneur de Lérida, allié au comte Berenguer de Barcelone ainsi qu'au roi d'Aragon Sancho Ramírez.
Bien avant la prise de Valence, qui rendit définitivement célèbre Ruy Diaz, c’est le roman d’un épisode de la vie magnifique d’un combattant prévoyant et humble, partageant tout de la rude vie de ses hommes, intransigeant vis-à-vis de son allégeance au seigneur qui l’emploie, restant néanmoins fidèle au roi de Castille auquel il réserve toujours un cinquième de ses prises de guerre …
Un livre qui se lit sans répit, vous transporte au milieu de la bataille, plus haletant que n’importe quel film d’action … Un des meilleurs d’Arturo Perez-Reverte, dont j’ai lu presque toute l’œuvre. Un régal !
Sidi, roman d’Arturo Pérez-Reverte, traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli, édité au Seuil, 343 p., 21,90€