Les éditions Plaisir de Lire fêtent leurs cent ans cette année. C'est un réel plaisir de lire qu'elles connaissent une telle longévité et continuité dans la qualité:
Pour l'occasion, la maison d'édition a lancé un concours d'écriture ouvert sur le thème du plaisir de lire.
Seize auteurs de Suisse romande ont répondu à cet appel et chacun, à sa manière, a composé, avec bonheur, un texte original sur ce thème de circonstance.
Compte tenu de leur nombre, plutôt que de rédiger une note de lecture sur chacun de ces textes, il semble préférable d'en reproduire des extraits, révélateurs.
Les éditions Plaisir de Lire ont publié ces Nouvelles inédites dans l'ordre alphabétique des noms d'auteurs. C'est dans cet ordre que les citations sont faites:
Le papier, ce côté palpable, matériel du livre, qui apporte un peu de substance à la lecture, on le lui a retiré: il doit revoir l'ensemble des documents à travers cette tablette depuis de longues années et même s'il apprécie son travail, il abhorre cette obligation à utiliser un écran. Et pourtant, aujourd'hui, il découvre une oeuvre qui le dépasse grâce à cette technologie. Pour la première fois, il a même éprouvé du plaisir à lire ce texte sur son écran.
Nicolas Comte, PDL
Mon amie est volage, elle va d'aventure en aventure, de bouquin en bouquin. Plusieurs jours durant, elle m'a fait partager son intimité, nous étions devenus inséparables, presque fusionnels. Elle n'était pas loin de penser que cette aventure que je lui faisais vivre avait été inventée pour elle. De mon côté, si tant est qu'un livre puisse s'éprendre de sa lectrice, alors, j'étais amoureux. Qu'elle rie, qu'elle pleure, qu'elle s'émerveille, elle avait tout pour me plaire. Et c'était réciproque.
Patricia Dom-Grillet, Et si les livres pouvaient parler...
Je suis avachi, caché sous les ailes de mon biplan qui fait désormais l'autruche. Il gît le bec dans le sable, avec ses deux grandes ailes difformes, lamentablement dépliées à ses côtés. Cet oiseau-là ne volera plus jamais.
[...]
Ce qui me retient encore de sombrer dans une éternelle obscurité, ce sont ces centaines de lettres qui jonchent le sol autour de moi.
[...]
Alors, pour oublier ma solitude et pour garder un lien avec les vivants, je lis les lettres des mères, des frères, des anciens amants...
Maud Hagelberg, Poste restante
Lorsque j'appris à lire, mon père me dit un jour que, de toute façon, ce n'était plus de mon âge d'écouter des histoires que je pouvais les lire par moi-même, mais je refusais.
[...]
Pour le petit enfant de huit ans que j'étais, la lecture devint une nécessité, une alliée, un lien transcendant le petit monde de ma vie matérielle, un horizon aux confins illimités, un père, une famille.
Benjamin Jichlinski, Les mots d'une enfance
Elle s'arrête. Ses pensées qui l'entraînent à nouveau dans leur ronde infernale doivent cesser. Elle connaît le meilleur moyen, caresse tendrement l'objet qui se trouve dans le creux de ses mains, s'apprêtant à embarquer pour ne plus revenir avant le petit matin. C'est pour cette unique raison qu'elle vient s'isoler chaque nuit dans cet endroit, à la lumière du lampadaire. Seul plaisir qui reste entier: cet ouvrage dont le papier s'effleure, se tourne, livre peu à peu les lettres assemblées, entre en danse, en transe et amène à une évasion dont on ne souhaite plus revenir.
Sylvie Kipfer, Évasion littéraire
- Chaque minute, chaque instant, je savais que je pourrais la perdre, qu'elle pourrait me perdre. Chaque enveloppe qui arrivait, je me disais: "C'est peut-être la dernière". Mais ce moment-là, celui où je la tenais dans mes mains, où je la respirais, où je scrutais l'encre, le timbre.., Ah... là, c'était la vie. Le soir, je me couchais sous les couvertures et, à la lueur d'une lampe de poche, je la lisais. Je lisais mon Hortense, enivré de plaisir.
Florence Marville, L'encre du front
Je gagnais des amitiés inespérées grâce à l'originalité de mon père. Il était capable de citer sans jamais sourciller des strophes, des extraits, des passages entiers tirés de ses innombrables lectures, de ses intimes dont nous n'égalerions ni les lettres, ni l'esprit. À mes yeux, leurs mots étaient devenus les siens.
Fabienne Morales, Se rire de l'archer
Dans sa somnolence, l'ancien poilu songe à ce retour et au futur qui l'attend. Il a bien écrit quelques lettres mais il n'a pas obtenu de réponse. Certaines sont mêmes revenues, non ouvertes, à l'expéditeur. Les postes françaises ne sont sans doute, elles aussi, plus ce qu'elles ont été. Un doute pernicieux s'insinue soudain dans son esprit. Charles le balaie afin de ne pas crever son coeur.
Yves Paudex, Effet miroir
Je continuai ma lecture, et je relus le poème plusieurs fois, les yeux rivés sur les mots, fasciné. Mais ce n'étaient pas mes yeux seuls qui étaient fascinés; mon esprit tout entier était pris par le jeu musical des sonorités et du rythme des vers français qu'entendait mon oreille intérieure; à cela s'ajoutait une compréhension merveilleuse du sens , de chaque mot, de chaque phrase, telle que je ne l'avais jamais éprouvée, ni en lisant, ni en parlant ou en écoutant ma langue maternelle.
Michel Pellaton, Heureux qui comme Ulysse...
Benjamin avait préparé des cartons de déménagement pour y mettre les livres et les quelques babioles qui se trouvaient dans la chambre. Il n'avait trouvé ni ordinateur, ni téléphone. Pas de téléviseur non plus. [...] Il s'était débarrassé de tout ce qui lui semblait inutile. [...] Il lui avait confié vouloir "apprendre à mourir" dans la sérénité et la sagesse, comme certains philosophes de l'Antiquité.
Sonya Pfister, Entre les pages
Il ne comprenait pas les écrivains qui étaient prêts à vendre père et mère pour un peu de lumière. Le succès, la célébrité n'apportaient pas le bonheur, seule comptait la satisfaction de savoir écrire, de dérouler un récit, une histoire, de créer. Et tant mieux si cela procurait du plaisir au lecteur. C'était le bonus. La littérature était pour lui l'art suprême, l'art absolu. Celui qui lui correspondait le plus, celui qui l'éloignait de lui-même, qui le faisait se dépasser, se surpasser.
Cornélia de Preux, Maître liseur
C'est le seul endroit où elle aime le jus de raisin, comme s'il fallait remplacer le sang offert par un liquide à teinte similaire. Le thé, c'est pour se réchauffer. Elle a dit oui aux couvertures et au coussin chauffant, il n'empêche, elle frissonne. Elle frissonne en pensant à l'autre fille, là-bas, dans son lit d'hôpital, s'en veut de lui avoir imposé des verbes irréguliers d'anglais, profite de la présence de l'infirmière pour demander qu'on lui passe le livre qui est dans son sac, le livre qu'elle a oublié de sortir, trop occupée qu'elle était de penser à l'autre fille.
Marilou Rytz, À celle qui lit là-bas
Les trois rayons inférieurs sont en désordre. Des romans anglophones en mauvais état, des ouvrages d'histoire, des livres de recettes et une vaste collection de guides touristiques qui ont perdu toute leur utilité. Un livre de poche tristounet, La planète mystérieuse, est l'unique livre de science-fiction de ma collection. Il gît seul au bout de la rangée, écrabouillé derrière un Larousse si ancien qu'il ne parle même pas de verlan. L'avenir ne devait pas beaucoup m'intéresser.
Alexandre Sadeghi, L'interligne
Avant de partir pour la gare de Cully, Jack jette un coup d'oeil à la proie de la buse. Ce n'est pas un déchet, c'est un livre. Un petit livre beige, moins de deux cents pages. Et dire qu'il a bousillé son vélo et sa story pour un fichu livre... Au fond il ne vaut pas mieux que cette buse idiote qui voulait manger du papier.
Matteo Salvatore, Le passage de la buse
Un livre, ça se choisit avec soin, avec amour, avec passion. Il faut que son idée à peine évoquée, déjà fasse saliver notre cerveau. Que notre envie s'éveille. Que notre curiosité soit à l'affût. Que sa couverture charme nos yeux. Que son odeur déclenche à elle seule un besoin animal de se blottir dans un coin avec son trésor et de gronder sur quiconque mettra un pied dans le territoire nouvellement délimité.
Éloïse Vallat, L'art délicat de la lecture
Sa bouche, qui semblait encore marquée par le sourire qu'elle avait adressé plus tôt, était habillée d'une barbe cendrée qui étirait son menton jusqu'à son livre: Le Petit Prince. En découvrant le jeune blond aquarellé, tout de vert vêtu, debout sur une planète violacée, Samuel ne put contenir une exclamation. Discrète, certes, mais pas assez pour que le vieil homme n'ait rien entendu. Déjà, celui-ci avait quitté ses pages pour examiner son nouveau voisin. Et malgré le regard bienveillant de l'aîné, Samuel sentit immédiatement le feu lui monter aux joues.
Bryan Verdesi, Le rêvasseur
Puissent ces quelques morceaux, choisis en toute subjectivité, donner envie, et donc plaisir, de lire ces textes écrits pour célébrer un centenaire, gage de pérennité...
Francis Richard
Collectif Plaisir de Lire -Nouvelles inédites, 146 pages, Plaisir de Lire