Ayant entendu des critiques très positives sur cet écrivain suisse de la première moitié du 20ème siècle, Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947), réputé pour la beauté de son style et ses sujets souvent inspirés du terroir vaudois, j’ai eu envie de le découvrir avec ce livre de souvenirs de jeunesse « La Découverte du monde » et je n’ai pas été du tout déçue !
Note Pratique sur le Livre
éditeur : Zoé poche
Première date de publication : 1939
Date de l’actuelle édition : 2022
Nombre de pages : 250
Note sur l’écrivain
Charles Ferdinand Ramuz, né à Lausanne en 1878 et mort à Pully en 1947, est un romancier, poète et essayiste de Suisse romande. Il fait des études de Lettres à l’Université de Lausanne. Il séjourne à Paris de 1900 à 1914, et découvre à cette occasion la littérature de son temps.
Il est d’abord proche du mouvement régionaliste, avant de développer un style plus personnel, qui reste attaché à ses origines vaudoises et qui puise ses sujets parmi les habitants de sa région.
Dès les années 1930, il obtient le succès et la notoriété, ses œuvres étant publiées chez Grasset, et il collabore à de nombreuses revues littéraires. Son talent est reconnu par des écrivains comme Louis Ferdinand Céline, Gide, Giono, entre autres. Par deux fois, il manque d’obtenir le Prix Nobel de Littérature, en 1943 et 1944. Les dernières années de sa vie, marquées par la maladie, le voient se consacrer plus particulièrement à des écrits autobiographiques. Il meurt à l’âge de 68 ans.
Quatrième de Couverture
« Surtout, pour la première fois, je me heurtais à cette difficulté, que la nature n’est pas faite pour être seulement regardée. Je voyais qu’il y a une autre manière de la rejoindre et plus profondément que par les yeux, c’est avec le corps. »
Texte tardif (1939), Découverte du monde retrace les premières années de la vie de Ramuz, de son enfance lausannoise à son départ pour Paris, et jusqu’à ses débuts dans l’écriture. En revenant sur son itinéraire, l’autobiographe rend moins hommage à sa formation qu’il n’affirme sa vocation d’artiste.
Mon Avis
C’est un beau livre, dont le titre pourrait aussi bien être « la découverte de soi », ou « la naissance d’une vocation littéraire ». Ramuz essaye de reconstituer ses années d’enfance et de jeunesse à partir de ses souvenirs. Mais ce ne sont pas tellement les événements extérieurs ou les rencontres affectives qui nous sont ici racontées. C’est essentiellement un autoportrait, une analyse psychologique à travers un parcours de vie. L’écrivain cherche à retrouver les pensées et les sentiments qui étaient les siens dans ses jeunes années. Et nous voyons qu’il souffrait beaucoup du manque de liberté et du conformisme excessif liés à son éducation, que le désir d’écriture était justement chez lui une manière d’échapper à ce carcan étouffant, de révéler son individualité tant bien que mal. Il ne condamne pas ou ne critique pas ceux qui l’ont éduqué de cette manière, mais il nous fait sentir que cette éducation ne pouvait pas convenir aux esprits créatifs et indépendants comme le sien.
Ramuz évoque quelques épisodes décisifs de son enfance, grâce auxquels sa vocation littéraire s’est trouvée renforcée et encouragée. Par exemple, une composition scolaire où il prit un jour la liberté et l’audace d’écrire un long texte en alexandrins rimés, à la stupéfaction de son professeur qui l’avait toujours pris jusque-là pour un élève médiocre et qui, devant une telle réussite, le soupçonna de supercherie et de plagiat. Ou encore, sa rencontre avec son meilleur ami, passionné de théâtre, sous l’influence duquel il commença à exercer sa plume dans la composition de pièces et à s’épanouir dans cette voie.
Je me suis souvent sentie proche de Ramuz au cours de ce récit, car il raconte des choses qui m’ont véritablement concernée et que j’ai eu l’impression de comprendre, de m’approprier, d’intégrer à ma propre mémoire. Il me semble qu’il creuse très profond pour exprimer les incertitudes et le mal-être d’une jeunesse qui cherche sa voie.
Un livre qui m’a vraiment beaucoup plu ! Que j’ai lu comme une confidence, un récit de vérité, très personnel mais en même temps très pudique.
Un Extrait page 89
C’est vers cette même époque (je devais avoir onze ou douze ans) que j’ai commencé à me dédoubler. Il y a eu en moi comme deux moitiés de personnages, qui à eux deux constituaient ma personne, mais qui se ressemblaient chaque jour un peu moins.
D’abord l’élève un tel, qui devenait d’ailleurs un toujours plus mauvais élève, perdant chaque année quelques places dans le classement, mais visible de toute part ; ensuite, et à côté, quelqu’un de très secret, qui prenait le plus grand soin de ne rien livrer de lui-même.
L’élève Ramuz, et puis quelqu’un qui portait bien le même nom, mais prenait en toute chose secrètement le contrepied des opinions officielles que professait ouvertement l’élève.
C’est, je pense, l’histoire de nombreux petits garçons de mon âge, dont la vie est faite entièrement d’obligations qu’ils n’ont pas choisies ; alors ils s’en vengent comme ils peuvent. Ils sont bien forcés de s’y soumettre ; ils s’y soumettent, en effet ; ils n’ont rien du révolté. Mais ils n’ont rien, d’autre part, de l’élève conformiste, né conforme à ce qui l’entoure, et qui est parfaitement satisfait de l’enseignement qu’on lui donne, n’imaginant même pas qu’il puisse être différent. (…)
Un Extrait page 191
Je n’ai pas d’invention ; je n’ai que de l’imagination. On confond trop souvent ces deux facultés qui n’ont rien de commun et sont même volontiers contradictoires. Le parfait romancier serait un homme qui aurait à la fois de l’invention et de l’imagination et on sait que l’espèce en est singulièrement rare. L’invention tend à l’acte et s’intéresse à l’acte ; elle s’entend à en prévoir et à en utiliser les conséquences, les multipliant ainsi par elles-mêmes. L’invention est évènement, elle se complaît à l’événement, elle se délecte à nouer une intrigue, à en compliquer, à en diversifier les péripéties et à ne la dénouer qu’après les avoir épuisées. L’invention est « dynamique » comme on dit ; elle réside dans un mouvement constant, organisé de manière à susciter, maintenir et renouveler l’intérêt ou même fréquemment la simple curiosité du lecteur ; l’imagination, au contraire, est contemplative. Dans cette longue suite d’événements dont l’invention se plaît à combiner les péripéties, elle en choisit un qu’elle immobilise ; là où l’invention accélère, elle, elle fixe et elle retient. Elle se nourrit du spectacle qu’elle s’offre à elle-même. Elle tend à se confondre avec l’objet qu’elle évoque, c’est à dire que le sujet tend à se confondre avec l’objet. Je me représente un incendie et il y a un incendie ; je le vis véritablement, je suis dedans, il se met à exister ; il est ou il peut être sans relation aucune avec les événements précédents ou subséquents : il est sans cause et sans effets ; il est, j’ajoute qu’il est à moi. (…)
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J’ai lu ce livre dans le cadre du Printemps des Artistes puisqu’il y est beaucoup question d’écriture et de vocation littéraire, à travers un parcours de jeunesse.
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