Comment expliquer que ce système révolutionnaire, capable de procurer une réelle impression de converser autour d'une table avec des interlocuteurs pourtant distants de plusieurs centaines ou milliers de kilomètres, n'ait pas envahi toutes les salles de réunion de la planète ? La raison la plus immédiate et la plus fréquemment citée est invariablement le coût et la complexité de l'installation, qui en limitait automatiquement la pénétration. Mais il est nécessaire d'approfondir une analyse aussi simpliste.
En effet, le cas est fréquent de mise sur le marché de produits disruptifs à prix exorbitant, réservés à une élite (devenant rapidement évangélisatrice), qui parviennent malgré tout à prendre racine, plus ou moins rapidement, à la faveur des optimisations diverses qu'autorisent le progrès technologiques et les facteurs d'échelle… jusqu'à la démocratisation. Dans le cas de la téléprésence, ce processus normal d'évolution a hélas été perturbé par un phénomène de copie soutenue par un marketing trompeur.
En effet, plusieurs concurrents de Cisco ont réagi à une offre qu'ils n'étaient pas en mesure de répliquer en commercialisant sous le même nom des technologies moins sophistiquées, mais beaucoup plus abordables. Celles-ci ont alors évidemment pris le dessus auprès de la clientèle cible, qui a naturellement été déçue par ces solutions au rabais, en considérant à juste titre que, décidément, le gain de qualité par rapport aux outils traditionnels ne justifiait aucunement le surcroît d'investissement requis.
Et voilà que la même dérive est (peut-être) en train de se répéter avec le projet Starline de Google. Le système de communication immersif semble proposer une expérience incomparable… mais, deux ans après sa présentation, il est apparemment toujours dans une phase expérimentale et l'industrialisation paraît encore très lointaine. Logitech est le premier à profiter de l'opportunité pour lui comparer – sciemment ou pas, rien ne le confirme, mais les journalistes s'y laissent tous prendre – son propre projet Ghost.
Techniquement, les deux dispositifs n'ont rien de commun et, vraisemblablement, le ressenti de l'utilisateur n'est absolument pas du même niveau, le seul bénéfice du dernier né par rapport à la visioconférence classique étant d'aligner les regards des deux personnes qui conversent (un artifice obtenu par la suppression de la distance habituelle entre la caméra et l'image du vis-à-vis, grâce à un simple miroir). Mais le recours à un équipement conventionnel, tout au plus intégré dans un mobilier adapté, rend ce « fantôme » à la fois bon marché et immédiatement prêt à la distribution.
Ce mode de dévalorisation de l'innovation par entretien de la confusion – qui correspond concrètement à une démarche d'élimination – est problématique car il échappe largement au contrôle de l'entité qui se positionne en pointe dans un secteur en pleine maturité. Deux moyens défensifs sont néanmoins envisageables, quoique potentiellement difficiles à mettre en œuvre : l'accélération du cycle de développement dès le premier déploiement (peut-être accompagnée d'un sacrifice tarifaire afin de maintenir la compétitivité) et la mise en avant inconditionnelle des différenciateurs.