Bien entendu, vous ne répondez pas. Vous le laissez filez vers votre boite vocale.
Pas moi.
Pourquoi me direz-vous? Je ne sais pas. Opportunités. Possibilités. Shakira qui m'aurait retracé et qui voudrait à nouveau me rencontrer. Peau contre peau. Nouvelles réalités. Chances à prendre.
"Hey Bruce! (ça se passera entièrement en anglais, je suis parfait bilingue, je ne vous l'impose pas, je traduis) Qu'est-ce qui se passe avec toi ?"
Je ne suis pas Bruce, je suis Hunter, mais voilà, je décide que je serai Bruce.
"BAAAH! Pas grand chose, je suis dans la voiture, et toi ? qu'est-ce qui se passe de bon avec toi, man ?"
O.K.. Là je suis concentré. Mon nom est Bruce. Il y a un budget de 15 000$. Devenu 10 000$. Focus. Personne n'est content, que dire ensuite? Relancer par la répétition:
"10 000$ ?? c'est supposé être 15 000?"
"Ouin bin là je viens d'avoir un couriel c'est tout à fait 10 000!"
"Je ne sais pas quoi te dire, je suis sur la route, je n'ai pas lu ce couriel..."
J'ai choisi de donner un peu de dents à la personnalité de Bruce:
"Écoutes Bro, le budget était de 15 000$. On a eu quelques excès de frais qui l'on fait monter à 16 200$. J'ai travaillé dessus, on est redescendu à 14 700$. On avait 300$ de lousse, j'ai arrondi à 15 000$, j'ai envoyé"
J'étais à la fois inquiété par la conversation et ravi que je sois capable de l'enfariner comme ça. Focus, Jones, Focus. Le gars au bout de la ligne a enchainé:
"EST-CE QUE LARRY A VALIDÉ CECI ?"
Il m'a lancé "Larry" j'ai saisi au bond telle une star du basketball.
"Écoutes, j'ai amené la chose à Larry qui m'a dit que tout était ok. Mais je savais que je devais me protéger alors je l'ai fait lire à Jennifer aussi. Juste au cas. Elle a aussi dit que tout lui paraissait bien, j'ai envoyé"
Il ne dérougissait pas. Mais je réalisais du même coup qu'il ne savait rien sur rien. Il n'avait pas parlé à Larry, il n'avait surtout pas parlé avec Jennifer, je venais de l'inventer ! et il ne s'inquiétait pas de savoir c'était qui. Je parlais à un gros bonnet. Clairement, il ne parlait pas plus...à Bruce. Sur un ton plus civil il a ensuite dit:
"Alors qu'allons nous faire à propos de tout ça ?"
Je l'ai joué cool.
Il est redevenu fâché. C'était un big shot à qui on ne disait pas quoi faire.
"NON, TU TE RENDS CHEZ VOUS, TU LIS LE COURIEL, TU APPELLES LARRY ET TU ME RAPPELLES!"
J'ai eu du front.
"Larry sait beaucoup plus que moi ce qui se passe, vérifies avec lui"
J'ai réussi à renverser. Il a accepté. A raccroché.
"Hello?"
C'est le même gars, je reconnais sa voix.
"Hey Larry, comment ça va ?"
(...)
"ÇA VA, ÇA VA, T..TOI?""
"O.K. je suis avec Janelle et Marie..."
Allais-je reculer face à Janelle et Marie? Franchement, non. J'y vais donc coooool-a-rama:
Marie doute. Elle commence:
"Il...il est quelle heure, là où tu es, Larry?"
Très vite dans ma tête: OKNewYorkmêmeméridienmêmeheure.
"17h30, comme chez vous!"Où devais-je donc être ?
"Fais-t-il beau, là où tu es ?" a renchéri Janelle.
"C'est bizarre t'as pas la voix de Larry..." a dit l'une d'elle.
"Ah oui ? J'ai la voix de qui d'abord ?"
Big Shot se mèle de la partie:
"BRUCE! T'AS LA VOIX DE BRUCE !"
Il menace de tout faire dérailler. Mais faire dérailler quoi ? Quel train je conduis ? Je confesse.
Marie n'avait aucun fun. Elle s'est fâchée.
"On est une petite entreprise, on travaille très fort, vous pensez que c'est une blague tout ça ? Vous aimez ça niaiser les petites entreprises ?"
J'ai pensé "tout à fait" l'ai peut-être même dit, mais en français, ils n'ont pas compris. Je me suis aussi senti un peu coupable. Je suis un homme bon, dans le fond.
Marie a commencé:
"NON LAISSEZ-MOI TE DIRE QUELQUE CHOSE!"
Ils ont été surpris de mon impulsion mais quelqu'un a dit : "Quoi?" j'ai demandé sur un ton plus courtois, calme et poli:
J'ai raccroché, ouvert une bière, savouré la défaite de Toronto.
Jeté quelques regards sur mon téléphone de temps à autre. De loin.
Effacé Big Shot de mes contacts.