A Angoulême pour leur dernier album en commun : le Dormeur, aux éditions Ilatina, dans la collection Via Libre, ces deux auteurs sud américains ont répondu avec une grande gentillesse à mes questions pour le site Planete BD.
Rodulfo, en 2015, on vous a découvert en France avec Dingue, aux Humanoides associé. Un album d’anticipation pas si éloigné de nous, avec une épidémie de Dingue sous couvert de polar. Far South était un polar, et Quarante cercueils revisitait quelque peu le mythe de Dracula ; tandis qu’avec le Dormeur, vous êtes à nouveau dans la science-fiction, mais là encore, pas si éloigné de nous dans le côté post apocalyptique et « Mad max ».Ce thème de la fin du monde ou des crises est-il un thème qui vous inspire plus que d’autres ?
Rodulfo Santullo : Je pense que le genre SF est un genre que j’aime pratiquer. Tout comme l’horreur. La science fiction Post apocalyptique est un domaine très riche à travailler. Avec Carlos, nous n’avions jamais travaillé ensemble jusqu’à Sleeper et nous avons discuté de ce que nous voulions faire. Or ce genre en mixant d’autres, on l’a choisi. Comme d’autres livres que j’ai déjà fait, j’ai voulu écrire celui-ci avec une vue latino-américaine.
Photo : © Franck Guigue, pour PlaneteBD
Qu’entends-tu par « vue Latino américaine » ?
Rodulfo Santullo : C’est difficile d’exprimer ça en anglais. Tous les dix ans nous avons des crises économiques et sociales, aussi, on connaît bien cela. Tout ça donne des expériences pour réaliser des choses différentes, comme nos personnages.
Quelles sont les œuvres, films ou livres (voire comics ? ) qui vous ont le plus marquées ?
Rodulfo Santullo : J’aime beaucoup le travail d’auteurs polar tels : Raymond Chandler, Dashiell Hammet, Patricia Mac Donald...Et en Science-fiction, des noms comme Asimov, Bradbury, Frederic Brown bien sûr. Quant aux comics, on a grandi en Argentine ; aussi : Hector German Oesterheld, Carlos Trillo...J’ai grandi avec tout ceux-ci et cela m’a fait devenir l’auteur que je suis devenu.
Carlos, en 2018, vous avez participé à l’album de Lovecraft scénarisé par Alex Nikolavitch, reprenant un peu du principe de fiction documentaire du Lovecraft de Breccia et Keith Giffen. Connaissiez-vous cet ouvrage ?
Carlos Aon : Non, je ne l’ai pas lu. J’ai effectivement travaillé avec Nikolavotch, j’avais fait les encrages, mais ce n’était pas le premier album que j’ai publié, le précédent est assez peu connu, chez un petit éditeur en 2002. C’était au sujet de la crise de 2001 en Argentine, avec toutes les révoltes liées. Il s’agissait d’un collectif.
Comment ce projet vous est-il parvenu et quels avaient été vos précédents travaux ?
Carlos Aon : En Argentine ça a été un des premiers ; je fait partie avec d’autres auteurs d’un label indépendant appelé La Productora, parce que dans les années 90 les gros éditeurs ont disparu en Argentine. Au début des années deux mille on a donc commencé à publier, d’abord sous forme de fanzines puis assez rapidement de manière plus élaborée et mieux imprimée. On publie entre 500 et 2000 exemplaires selon les titres. On adore la bande dessinée, aussi, on le fait avec beaucoup d’amour et de passion (et peu d’argent). Ah ah !
Des productions ©La productora
L’album Venise avec Alejandro Farias est un projet qui a été publié en Argentine, j’imagine, avant d’être proposé en France ? Comment vous êtes-vous rencontrés et comment cet ouvrage a atterri chez Michel Lafont ?
Carlos Aon : Venice est une adaptation d’une pièce de théâtre de l’auteur très connu : Jorge Accame. Il faisait partie d’une collection de différentes adaptations. Il y a trois ans, on a apporté des livres à Angoulême aux éditions Michel Laffont et ils ont décidé de le publier. Thomas a réalisé la traduction. On le connaissait déjà, puisqu’il a vécu 20 ans en Argentine.
Rodulfo, vous êtes Uruguyen d’origine mexicaine apparemment. Comment les relations avec des auteurs argentins se sont-elles concrétisées ?
Rodulfo Santullo : Toutes les choses que Carlos a dit à propos de l’Argentine et de l’édition n’existent pas en Urugay. Aussi, si vous voulez faire du comics, vous essayez différents trucs. Or, venir en Argentine est assez facile ; en deux heures de bateau, on traverse le fleuve. Aussi je suis venu une première fois en l’an 2000 à l’occasion d’un festival appelé Hacienda. C’est là que j’ai rencontré Carlos et la Productora et de nombreux autres collègues, devenus amis. Deux ou trois ans après, j’ai commencé à travailler avec certains de ces nouveaux amis, comme Jok qui faisait partie de la Productora, Et une chose en entrainant une autre, et bien 20 ans après, la plupart des travaux que je mène, je les mène avec des artistes argentins.
Dans Far South, vous situez votre polar dans la Pampa. C’est un endroit qui semble inspirer pas mal les auteurs hispanophones. Quelles relations avez-vous personnellement avec cet endroit ?
Rodulfo Santullo : Personnellement, je n’ai jamais été dans la Pampa. Mais cet endroit a un côté un peu mythologique, non ? Et il est très adapté à s’y faire dérouler des histoires. Dans Far South, j’ai mixé l’univers des gauchos, du polar et du western. Tout cela ensemble, et avec encore, cette vue latino américaine. Concernant la documentation, il n’y en a pas besoin tant que ça. C’est de la fiction et on est dans des ambiances. Là bas, il n’y a aucun relief, tout est plat et on voit l’horizon à perte de vue. Les seules choses que l’on voit ce sont des vaches. Elles ont été introduites ici il y a 500 ans, pour l’élevage.
Ce qui explique en partie la disparition des indiens autochtones !?
Rodulfo Santullo : Tous n’ont pas disparu. Il y a eu pas mal de mixité entre les espagnols et les populations locales. C’est la réalité de notre pays.
Carlos, dans le Dormeur, votre dessin évoque pas mal une certaine idée de la bande dessinée européenne voire française alternative. Je pense par exemple au stéphanois Aurélien Maury. En connaissez-vous quelques unes et sinon, quelles sont vos références en termes de bande dessinée ou de comics ?
Carlos Aon : Non. On a fait ça il y a huit ans ; Ma principale inspiration a été Horacio Lalia qui était élève d’Alberto Breccia ; J’ai une relation privilégiée avec ce style. J’ai beaucoup de l’école argentine dans mon Background et mon travail, et j’aime beaucoup l’informatique. Je mixe beaucoup les deux techniques : classique et informatique. J’utilise l’ordinateur depuis les années 2000. Je travaille sur papier et je scanne mes travaux que j’assemble ensuite. Je réalise les dessins, puis l’encrage et les couleur sur l’ordinateur. Dans the Sleeper, je voulais donner un aspect un peu Vintage genre vieux Atari.
Est-ce que la question de posséder ou non des originaux est importante pour vous ?
Carlos Aon : J’ai quelques originaux, mais je considère que l’original est le livre. Je m’en fiche un peu d’avoir ou pas des planches originales à proposer. Dans Sleeper, j’ai travaillé avec l’ordinateur pour avoir un look un peu Cyber punk, pour contraster avec la thématique Post-apocalyptique.
J’ai beaucoup aimé votre travail sur les lumières et les ombres, qui apporte beaucoup à votre trait déjà très agréable.
Carlos Aon : On en a parlé. Pour moi, il s’agit de l’école classique argentine : Breccia, Munoz...
Pour finir, je voulais encore vous féliciter tous les deux pour ce roman graphique très réussi, qui instaure un suspense dés le départ, nous embarquant jusqu’à la fin avec délectation, mais surtout, développe un ton mixant agréablement l’univers post apocalyptique souvent très violent avec des relation humaines relativement apaisées. De fait, les « Mad Max » ne sont vus que de loin et la violence interne à ce huit clos ne dépasse jamais certaines limites ; tout en dénonçant
quelque chose. C’est du grand art. De fait, on aimerait à nouveau vous lire sur un autre récit.
Auriez-vous un autre projet en commun, à tout hasard ?
Rodulfo Santullo : On a quelques idées, pour faire une seconde parie de The Sleeper, en gardant certains personnages, pour voir ce qui va se passer ensuite.
Super. Au plaisir donc. Merci beaucoup.
FG Lien vers La Productora : https://www.whakoom.com/publisher/16966/la_productora