Réaction contrastées et, comme souvent, dictées par les convictions et intérêts de ceux qui réagissent. Car réagir à tel ou tel évènement devient de plus en plus un exercice d'autopromotion narcissique.
Ici les réactions les plus marquées ont été celles des zélotes du vin nature et donnaient à peu près ceci :
- toujours les mêmes pseudo experts qui dénigrent le vin nature !
- trop la rage d'entendre ces vieux clichés de vieux mâles blancs du vin !
- à la trappe tous ces vieux idéologues dépassés !
- ils peuvent dire ce qu'ils veulent, le vin nature c'est le vin du turfu !
Chacun pourra se faire son idée en écoutant l'émission que l'on trouvera en suivant ce lien.
Pour ma part je n'en retiens et commente que quelques extraits que voici ...
Le présentateur :
"une émission spéciale dédiée à ce qui est beaucoup plus dans l'air du temps : le vin nature, un vin sans sulfite produit par des méthodes douces, un vin qui ne fait pas bobo à la tête"Ça commence fort ...
Passons sur le désolant « bobo à la tête » (formule bêtifiante qu’on ne m’a pas servie depuis que j’ai quitté la maternelle) pour rappeler que ce qui cause le mal de tête d’après picole c’est l’alcool (et l’éthanal qu’il devient du fait des enzymes hépatiques).
Dès lors, sulfites ou pas et même en présence de méthodes douces (quoique cela puisse vouloir dire) : si on picole trop, à plus forte raison si on ne boit pas d’eau, on aura mal à la tête.Désolé : une cuite reste une cuite, même avec les meilleurs crus.
Puis, dès l'entame, voici une heureuse volonté de pondération des propos et arguments qui est annoncée par Olivier Poels malgré le côté clivant du "vin nature" qu'il énonce et semble-t'il regrette.
Je m'en réjouis.
Mais un chroniqueur énonce doctement que :
"Figurez vous que la première fois que des hurluberlus ont parlé de vin nature, c'était au début du XXème siècle : les fameuses grandes grèves des ouvriers viticoles de 1903 et 1904. Ils voulaient quoi ces ouvriers ? un vin produit à partir uniquement à partir de jus de raisin et sans fabrication artificielle. Un vin naturel, qu'ils disaient !"
Faisons simple et court : c'est un tas de conneries.
Alors faisons compliqué et long ...
- La première fois que l'on a parlé de vin nature ?
Je ne la connais pas.
Sur mes étagères on en trouve trace chez Antoine de Saporta, en 1889. Mais de nombreux ouvrages antérieurs évoquent les vins naturels. Disons que, pour ce que j'ai pu en lire, de Saporta est peut-être l'un des premiers à essayer d'aborder la question de façon systémique.
- "Les fameuses grandes grèves des ouvriers viticoles de 1903 et 1904" ?
1903 est une piètre année en volume, en revanche 1904 (ainsi que 1905 et suivantes) sont des années de récolte pléthorique partout en Europe. Les excédents viticoles sont énormes et la mévente dramatique. Ce qui aboutit à la formation du "Comité régional de défense viticole des intérêts du Midi" en 1905, à une première manifestation massive à Béziers et à la pétition de 1905 qui appelle non pas à la grève des ouvriers viticoles mais à la grève de l'impôt.
Les vins "artificiels" ne sont alors que des épouvantails qui ne participent que très marginalement à cette surproduction de vin, encore que les vins étrangers importés à vil prix ne soient "arrangés" ...
L'affaire culminera en 1907, avant que Marcelin Albert ne se fasse avoir par Clémenceau puis que le 29 juin de la même année la Loi n'interdise les vins trafiqués et n'oblige les propriétaires à déclarer superficie des vignobles et volume de stocks, en leur interdisant le mouillage des vins.
Ensuite, le Décret du 3 septembre stipulera que : "Aucune boisson ne peut être détenue ou transportée en vue de la vente ou vendue sous le nom de vin que si elle provient exclusivement de la fermentation alcoolique du raisin frais ou du jus de raisin.".
Le 21 octobre verra la naissance du Service de la Répression des Fraudes. La crise de surproduction s'achèvera avec la Première Guerre Mondiale.
Bref : il ne s'est jamais agi de grève des ouvriers agricoles, et certainement pas en 1903 et 1904. En outre le fond du problème n'était pas le "vin produit à partir uniquement à partir de jus de raisin et sans fabrication artificielle" ! Bien sur il y avait des vins trafiqués, et des vins issus de raisins secs. Mais il y avait aussi et surtout des importations massives, en particulier en provenance d'Algérie (alors française) et d'Espagne, qui enfonçaient le Languedoc (qui faisait alors, lui aussi, "pisser" la vigne") dans la crise.
Retour au chroniqueur :
« Dans les années 1950, c'est un certain Jules Chauvet qui relance cette idée saugrenue : çà s'appelle le mouvement des vins naturels." .../... Jules Chauvet est un vigneron biologiste dans le Beaujolais. On le considère comme le père spirituel du vin naturel. À ses yeux, les levures chimiques, « c'est le mal ». Il prône une production de vin basée sur le respect de la vie des sols, sur l'utilisation d'engrais organiques, sur des vendanges à maturité optimale et le respect de la récolte avec le moins de modifications du raisin. "La vigne moins on la touche mieux elle se porte", c'est signé Jules Chauvet. ».
Jules Chauvet étant microbiologiste, on me permettra de douter qu'il ait jamais évoqué le mal que représentent les levures chimiques. Car les levures œnologiques sont des êtres vivants, des Saccharomyces cerevisiae.
Elles ne sont pas chimiques.
Alors je sais bien que "chimique" est un repoussoir facile et efficace dont il est compliqué de se passer pour faire des effets de manche à peu de frais. Mais force est de constater que, pour l'essentiel, la levure chimique c'est du bicarbonate de soude et de l'acide tartrique et que cela n'a absolument rien à voir avec la transformation du raisin en vin.
Dans le cadre œnologique, faire référence aux levures chimiques est donc absurde et mensonger.
Pour le reste, je me suis déjà exprimé à propos de cette phrase de Jules Chauvet et de l'utilisation qui en est faite, souvent ad nauseum. Je n'y reviens pas puisque c'est consultable en suivant ce lien.
Après ce début en fanfare, que nous dit Olivier Poels ?
"Un vin nature est un vin dans lequel il n'y a pas d'intrant"
Voilà.
C'est du moins l'idée convenue aujourd'hui. Car au XIXème siècle et au début du XXè l'approche différait quelque peu.
"Il y a des dizaines de produits qui sont autorisés aujourd'hui dans l’œnologie moderne .../... pour lui donner un gout, ou quelque chose qui soit plus proche de ce que demande le public"
Oui : la liste des produits utilisables en œnologie comporte quelques dizaines de possibilités qui sont soit des additifs (ils sont constitutifs du vin et sont donc présents dans le vin fini), soit des auxiliaires (ils participent à la transformation du raisin en vin mais ne sont pas présents dans le vin fini).
J'ai déjà abordé ce sujet à maintes reprises, on pourra par exemple lire ce billet.
Je me limiterai donc à signaler que ceci : "pour lui donner un gout, ou quelque chose qui soit plus proche de ce que demande le public" me pose problème.
En effet, "pour lui donner un gout" laisse penser que l'utilisation de produits œnologiques vise à aromatiser ou apporter telle ou telle saveur au vin. Ce n'est pas le cas. D'ailleurs l'aromatisation des vins est interdite.
En outre, "quelque chose qui soit plus proche de ce que demande le public" me semble pour le moins ambigu.
Si par ces mots Olivier Poels entend "élaborer des vins francs et droits", et "sans défaut", nous en serons d'accord.
S'il s'agit de "customiser" les vins ce sera plus discutable.
Encore qu'il puisse y avoir quelques cas particuliers, par exemple lorsque l'on en vient aux vins édulcorés qui sont, en effet, recherchés sur certains marchés, en particulier à l'export. Mais il me semble compliqué d'en faire, à demi-mot, une Loi œnologique universelle ! Encore que, de mon point de vue, les œnologues et l’œnologie doivent permettre à ceux qui veulent vinifier d'obtenir les vins qu'ils veulent et non les vins qu'ils peuvent. Et c'est, encore une fois, une chose bien différente de ce qui est dit et sous entendu dans cette émission.
"les premières utilisations de sulfites c'est le XVème siècle.
Quand on utilisait des sulfites dans le vin eh ben il voyageait mieux."
Sur le sujet du soufre et de son utilisation, m'étant déjà étendu sur le sujet dans ce billet, je n'y reviens pas ici si ce n'est pour signaler que l'on trouve trace de son utilisation vinicole dans le "de re rustica" de Pline l'Ancien. Donc bien avant le XVème siècle.
Plus tard Olivier Poels nous dit :
"J'expliquais tout à l'heure que le soufre avait plusieurs vertus, elles étaient antioxydante et antiseptique. Ça permet notamment à un certains nombre de bactéries indésirables dans le vin de ne pas se développer."
Ce à quoi j'adhère sans réserve.
Mais ensuite vient ceci, à propos des phénols volatils :
"Ça c'est dû à des bactéries qu'on appelle notamment les Brettanomyces, ce sont des bactéries qui se développent naturellement dans le vin. Qu'on n'a pas envie d'avoir dans un monde vin carré et droit mais que les tenants du vin nature acceptent en disant : "c'est le vin qui vit, il est comme çà. Il exprime çà, acceptons ces joyeux arômes". Moi, personnellement, je ne peux pas."
Et là j'ai un peu plus de mal.
Les Brettanomyces sont des levures et non pas des bactéries. C'est ballot mais, sur le fond, cette confusion n'empêchera personne de dormir. Ce qu'en revanche il me semble utile de préciser c'est que, en dépit d'une croyance tenace, le soufre n'élimine pas les Brettanomyces.
Il est possible de se référer à ce vieux billet pour aller plus loin à propos de Brettanomyces.
A ce stade je me contenterai donc de signaler que :
- sulfiter un mout peut mener à sélectionner des souches de Brettanomyces plus résistantes au soufre, qui seront donc d'autant plus pénibles lors des phases d'élevage,
- sulfiter sur vin va inciter les Brettanomyces à passer sous forme sporulée ... en attendant que les conditions leur deviennent plus favorables et qu'elles se mettent alors à pourrir le vin. Éventuellement alors qu'il est en bouteille et que l'on ne peut plus rien faire, sauf le mettre à l'évier ou prétendre que c'est le terroir qui s'exprime.
- car les phénols volatils, produits par Brettanomyces, ont longtemps été confondus avec une expression du terroir. C'est encore trop souvent le cas.
On aura compris que le soufre n'est malheureusement pas une protection suffisante contre Brettanomyces et la déviation aromatique qu’elle cause.
Le sulfitage n’offrant aucune garantie contre ces sales bêtes, cela n'en rend pas plus acceptables les arômes des vins dans lesquelles elles ont sévi.
Retour au chroniqueur qui a déjà brillé par sa méconnaissance des sujets qu'il a abordés :
"Deux chercheurs français ont comparé les notes obtenues souvent à l'aveugle, par les vins nature, ceux produits en biodynamie et ceux produits en agriculture conventionnelle. en France comme aux États-Unis. Les deux premières catégories l'emportent."Sur ce blog, j'ai déjà longuement dit en quoi et pourquoi l'étude citée me laissait, au mieux, perplexe dans ses tenants et aboutissants et, surtout, par son protocole. Je n'y reviens donc pas, me bornant à faire remarquer que le chroniqueur dit encore une fois n'importe quoi : l'étude qu'il évoque ne s'intéresse pas aux vins "nature" mais aux vins "conventionnels", ou se revendiquant du bio et de la biodynamie.
Les vins nature ne peuvent donc pas, quoiqu'il puisse affirmer, l'emporter puisqu’ils ne sont pas abordés dans cette étude (par ailleurs critiquable).
Puis Olivier Poels à propos des "vins nature" :
"Il y en a évidemment des très bons, quand c'est très bien maîtrisé çà peut être très intéressant" .../... " Si on prend le top 50 des 50 plus grands vins du monde reconnus comme tels par les amateurs et les sommeliers, plébiscités depuis 30 ou 40 ans , il n'y a pas un vin nature dedans".
Au delà du fait que je ne suis pas convaincu que les vins (dits) nature aient suffisamment d'antériorité pour jouer cette partition, on doit pouvoir se poser la question de ce qui définit les 50 plus grands vins du monde et du poids de l'Histoire dans ce classement.
"Parce que les grands vins, qui sont des grands vins de terroir, sont des vins destinés à une longue garde. Ils ont besoin d'un minimum de soufre et de sulfites pour faire face aux assauts du temps."
Terroir et longue garde ?
Oui, bien sur.
Au moins dans une logique élitiste qui est (fut ?) certainement le modèle dominant, et pas totalement déconnant.
Toutefois la science en général et la science œnologique en particulier progresse. Il existe aujourd'hui divers moyens permettant d'obtenir sans soufre les effets du soufre qui nous intéressent ici (à savoir anti oxydant et anti microbien).
"Ne pas mettre de sulfites dans un vin, pourquoi pas, mais dans ce cas, il faut pratiquement pas qu’il bouge. Chaque mouvement, chaque variation de température çà va poser problème."
Oui, si on laisse le vin se débrouiller avec les moyens du bord, non si on met des techniques alternatives en place. En outre, Olivier Poels semble faire une confusion bien trop fréquente entre les vins sans soufre et les vins sans intrant ni intervention.
Or il ne s’agit en aucun cas de la même chose.
"Il y a des vins nature qui sont tout à fait droits dans leurs bottes et aromatiquement remarquables."
Nous sommes bien sur d'accord.
Et remarquable aussi bien par leur aromatique que par leur structure. Il faut arrêter de croire qu'un vin "nature" est par essence un petit vin de comptoir qui se boit sur le fruit.
J'ai goûté de fort belles choses.
Mais force est de constater qu'il y a aussi des poissons volants, et que ce n'est pas la majorité de l'espèce.
"Il y a une réflexion autour du soufre." .../... "Il y a plein de vignerons qui essaient de limiter au maximum les doses de sulfites. Mais il en faut toujours un tout petit peu, notamment à la mise pour stabiliser le vin."
En effet, la tendance est à la réduction des doses de sulfites.
Pour le reste, là aussi çà se discute. Car avec le vin on travaille sur le vivant. Or le vivant ne se reproduit pas systématiquement à l'identique et nécessite donc que l'on observe et s'adapte. Tous les vins n'ont pas nécessairement besoin d'un ajout de sulfites à la mise, pour être stables. Mais c'est souvent préférable, en particulier dans une optique de conservation (et déplacement) des vins.
Mais sans doute sommes nous d'accord puisque vers la fin de l'émission Olivier Poels dira ceci, à quoi j'adhère :
"Le vin nature on n'a rien inventé.
La réalité c'est que le vin en fait c'est beaucoup plus complexe qu'il n'y parait."
S'ensuit un micro trottoir.
Consternant, comme il se doit.
Mais quel est donc l'intérêt de se plier à cette mode délétère qui consiste à proposer au quidam de base de s'exprimer sur un sujet auquel il n'entrave que dalle afin de nous assener des banalités (au mieux) ou des propos consternants (le plus souvent) qui, autrefois, étaient tenus aux comptoirs en zinc ?
Dès lors gagnons du temps et ne parlons ni du micro trottoir, ni du quizz désolant qui s'ensuit et confirme qu'ici il s'agit bien d'une émission de divertissement, en aucun cas d'une émission informative ou culturelle et qu'il ne faut donc rien attendre de plus que quelques sourires complices et rires complaisants.
Tout ayant un fin, nous arrivons enfin au terme de cette émission :
"Il faut attendre probablement le 18è ou le 19è siècle pour arriver à avoir des vins qui soient à peu près stabilisés et à peu près bons en termes de gout de manière régulière.Dommage pour tous ces brillants esprits antérieurs au 20ème siècle qui ont fait avancer la science œnologique.
Et les vraies connaissances œnologiques c'est le 20è siècle. Donc le vin c'est de la science .../... parce qu'on comprend mieux les phénomènes aujourd'hui, on peut mieux les maitriser. Et qu'on peut faire des vins nature très bien maitrisés. Mais une fois encore la destinée du jus de raisin c'est pas de finir en vin. Si l'homme n'intervient pas et n'intervient pas de façon intelligente et maitrisée"
Exit, donc, Maupin, de Bullion, Gay-Lussac, Lavoisier, Pasteur, Rozier, Baumé, Chaptal, Guyot et tant d'autres qui ont eu la mauvaise idée de ne pas naitre après 1900 et n'ont donc, si l'on en croit France Inter, pas amené de "vraies connaissances œnologiques".
Ceci étant dit la destinée du jus de raisin n'est, en effet, pas de finir en vin. Mais pas davantage en vinaigre qui est tout autant le résultat de choix humains. Non, le devenir naturel du jus de raisin c'est de l'eau, du gaz carbonique et divers sels minéraux.
"Pour que çà prenne le chemin de devenir du vin, il faut une vraie intervention humaine"Ce dont nous sommes totalement d'accord.
Faire du vin est une activité humaine, qui repose sur des choix et des interventions humains.
Puis, après cette phrase qui me va bien, il ne manque plus que l'humoriste de service (que j'évoquais au début de ce billet) pour clore l'émission :
Carton plein ...