I
Les derniers rayons du soleil échouent dans la chambre de l'appartement où, allongé sur un lit de misère, les mains jointes derrière la nuque, un jeune homme rêve de contrées lointaines, d'un nouvel ordre mondial, d'un djihad rédempteur, de vierges incendiaires. Au moment où il se réinvente sous les traits d'un combattant invincible, vêtu d'un uniforme d'apocalypse, avançant avec une détermination de conquérant sous un drapeau noir et blanc porté par des lions de feu, sa voisine pénètre dans l'appartement du dessus en martelant le plancher de bois de ses talons hauts, accompagnée du premier client de la journée.
II
Pendant que le jeune homme se voit entrer dans une nouvelle ville conquise, acclamé par une population en liesse, la locataire du 305 s'allonge de guerre lasse pour offrir son corps à l'inconnu. Elle ferme ses yeux de fugues et d'attentat à la pudeur pendant qu'il s'abat sur elle, s'efforce de prendre congé du monde des vivants, de ne plus être qu'une chair abandonnée dans les refuges de l'anesthésie, qu'un corps en location le temps d'une vulgaire transaction.
III
Une image prend forme dans son esprit, celle de la fillette aux rêves peuplés de princes qu'elle était, longtemps avant la poudre et les alliances piégées. Elle se souvient des caresses sales de ses amours d'orpheline, ces voies de fait avec lésions spirituelles qui lui ont laissé des cicatrices aux couleurs de profanation. Dans l'urgence de s'ébattre, l'homme reste sourd aux pleurs de la femme, au désespoir qui claque en elle comme les portes d'une chapelle vandalisée.
À la mémoire des victimes de l'attentat du 29 janvier 2017, à Québec.