Le 11 février 2020, alors que le monde d’avant était sur le point de passer au monde d’Absurdistan d’après, une loi contre le gaspillage était votée (ENFIN !) permettant la mise en place d’un certain nombre de mesures obligatoires qui – chic alors – rentrent bientôt en application.
Ce fut une petite loi bien goupillée, passée complètement inaperçue, mais dont les conséquences seront sans nul doute importantes et qui mettront du baume dans le cœur des Français en ces périodes d’agitations sociales : il est maintenant question de mettre en place une vraie stratégie de lutte contre le gaspillage qui passe forcément par la mise en place de solution de compostage à domicile. Oui, vous avez bien lu : au premier janvier de l’année prochaine, les Français vont devoir composter, composter, composter comme si leur avenir en dépendait.
Vous vivez en appartement, ou votre maison ne dispose ni de balcon, ni de jardin ? Peu importe, le combat sera le même : vous allez joyeusement participer, d’une façon ou d’une autre, à ce compostage compulsif et entasser quelque part vos pelures de bananes religieusement, pour sauver Gaïa et votre portefeuille (des amendes qui pleuvront sur les récalcitrants). Car tout le monde le sait : le tri des déchets biodégradables permet de lutter contre le gaspillage alimentaire et produit un engrais biologique pour vos plantations, pardi !
Vous n’avez pas de plantation ? Ce n’est pas la question. On vous dit de composter, vous compostez sans barguigner car si ce n’est pas bon pour vos plantations inexistantes, c’est excellent pour l’environnement, l’économie, la lutte contre le gaspillage et la syntonisation du peuple avec la Nature.
Cette lutte contre le gaspillage n’est pas nouvelle. En pratique, cela fait même plus de dix ans que nos gouvernants se sont persuadés que la France se vautrait dans le gâchis le plus pernicieux. Poussée par ceux-là, l’ADEME a établi à 30 kilogrammes la quantité d’aliments jetés par Français et par an.
Quelle masse ! Une horreur. Quasiment un tsunami de gâchis ! 30 kilos par an, mes petits amis, ça fait une sacrée quantité qui, ramenée à la journée, représente … 82g.
Notons au passage que, de brumeux calculs en statistiques foireuses, les articles consacrés à la question font quant à eux état d’un solde subitement gonflé à 83 kg (soit 227 grammes par jour).
82 ou 227 grammes, on voit tout de suite l’ampleur de la catastrophe : enfer, damnation et tupperware mal fermé ! Entre les miettes tombées au sol et les épluchures un peu trop épaisses, sans compter le lait oublié dans la porte du frigo et le camembert un peu trop fait, les Français sont victimes de la société de surconsommation que même l’inflation galopante des prix ne semble pas entamer : non content d’éplucher leurs patates, ces riches Français bedonnants le font hardiment en laissant trop de nourrissant tubercule sur leurs pelures !
On voit à quel point une loi s’imposait.
Et puis il fallait agir : non seulement, les autres sujets sociétaux, politiques, économiques ou sécuritaires ont été brillamment traités et résolus (qui peut le nier ?) mais de surcroît, absolument tout le monde se plaint maintenant du volume insupportable de nos déchets alimentaires !
Oui, tout le monde. Les petits, les grands, les journalistes, les philosophes, les experts de plateau télé, les politiciens, les charcutiers, les facteurs et les retraités de Palavas-les-Flots. L’opinion est claire et n’en peut plus de ces montagnes perdues par le méchant gaspillage de ces adultes et de ces enfants qui ne mangent pas tout leurs légumes. C’est bien simple : les sondages sont formels, puisque 98,3% des individus sont contre le cancer, la pollution et le gaspillage alimentaire.
Il était donc absolument nécessaire de culpabiliser un peu les Français qui vivent trop souvent dans l’insouciance que l’opulence de notre pays leur permet un peu trop facilement. C’est dit : il va maintenant falloir manger *tous* vos légumes qu’on vous dit. Et si vous refusez, ne venez pas vous plaindre qu’on passe rapidement à la farine d’insectes pour tout remplacer, non mais.
Bref, on l’a compris : ça gaspillait à tout va, la loi s’applique, et à présent, l’obligation de composter va mettre de l’ordre dans tout ça.
On respire un peu mieux d’avoir évité le cataclysme éco-climatique, mais il reste quelques questions pratiques : comment tout cela va-t-il se passer ?
Ne vous inquiétez pas, tout a été prévu : ce sera à la fois simple et totalement pratique.
Où que vous soyez, vous devrez vous procurer un composteur ou, mieux encore, un lombricomposteur dans lequel s’égailleront de charmants vers de terre, dans lequel vous entasserez vos épluchures diverses pendant plusieurs mois selon les conditions de température et d’hygrométrie.
Les grandes périodes de chaleur (probable puisque le climat se réchauffe, vous assure-t-on), les périodes de froid intense (probable aussi puisque le climat se dérègle, vous assure-t-on aussi), les périodes pluvieuses, les périodes sèches se succèderont et votre compost va simplement vivre sa petite vie, à condition d’effectuer quelques opérations simplissimes (je cite l’article) comme bien mélanger les déchets en faisant des couches, en aérant le compost régulièrement, en contrôlant son humidité, en faisant une rotation avec de multiples bacs de compost, …
Vraiment, comment ne pas se réjouir à l’avance de ces nouvelles tâches ménagères qui n’attireront ni les mouches, moustiques et autres insectes rigolos, ni les rongeurs et les renards pour les composts des jardins ou des balcons ? Et comment ne pas exulter d’avance lorsqu’à la faveur de températures torrides, le compost parfumera le foyer ?
On imagine déjà tout le bonheur que seront les petits composts des uns et des autres en campagne et dans les petites villes tranquilles. Quant aux composts collectifs de grands ensembles dans les cités émotives, on peut gager qu’ils seront un nouveau point de passage de la citoyenneté renouvelée de ces quartiers créatifs ! La réussite est garantie !
L’aspect obligatoire de ces composts, avec des amendes à la clé (ni trop salées, ni trop sucrées, rassurez-vous) garantit que tout le monde fera un petit effort pour la nature. Il tarde déjà à l’observateur moyen de voir comment seront contrôlés ces composts, notamment dans ces cités riantes, tout comme on espère enfin la mise en place de vraies Patrouilles de Gaïa, avec tasers (exclusivement chargés à l’électricité verte) et gaz lacrymo (bio garanti sans bisphénol).
Les esprits chagrins se demanderont (in peto) pourquoi on leur impose la mise en place de quelque chose qui avait été progressivement banni des villes pour éviter la prolifération de la vermine et de certaines maladies. Les pragmatiques conserveront le silence en observant calmement que si ces composts sont si géniaux, ils ne devraient avoir aucun mal à s’imposer naturellement à tous et qu’a contrario, s’ils ont quelques défauts rédhibitoires, les imposer n’est probablement pas une bonne solution…
Le silence règnera donc devant ce qui apparaît une fois de plus comme une perte de liberté, notamment celle de ne pas avoir de détritus pourrissant pendant des mois dans son foyer. Moyennant quoi, les diktats verdolâtres continueront de s’étendre inexorablement.
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