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Etienne Davodeau : Le droit du sol

Par Gangoueus @lareus
Etienne Davodeau : Le droit du sol

J'étais vautré dans mon canapé à regarder la Grande Librairie. L'an dernier. Un des meilleurs épisodes de l'émission de François Busnel peut être parce qu’il parlait sérieusement d’écologie.


Il est curieux que sur les médias mainstream français, pour qu’on daigne parler en profondeur d’écologie, il faille attendre une émission littéraire. Cela dit quelque chose irritant, mais que je pense véritable : l’écologie est une fiction. Son traitement par les médias et les partis politiques est une mascarade. Parlons de l’émission littéraire de mon collègue François Busnel.   Bruno Latour, philosophe, anthropologue, sociologue était l'un des invités. Une pointure. Il est mort quelques mois après ce passage à la télévision. A mon regret, on a la constante impression que les espaces  grands publiques de communication n'appartiennent qu'une  bande de potes s'autorisant à bien penser, à disserter, s’auto-complimentant dans ces endroits autorisés. Vous connaissez le sketch de Coluche. Toute voix dissonante est automatiquement exclue du débat publique. Les invités ont parlé d'écologie comme rarement c’est le cas sur les médias français. Le sujet est sensible quand on veut être sérieux et aller à la racine du mal.  Pause - J'ai vécu mon adolescence dans une démocratie populaire, autrement dire une dictature marxiste. Je peux vous dire que je sais identifier une propagande d'état parce que la chanson a été répétée jusqu’à saturation. Avec Latour et Davodeau, on est sorti du convenu. A un point tel qu'à la première occasion, en librairie, je me suis procuré (pour ne pas dire jeter) l'ouvrage d'Etienne Davodeau, Le droit du sol. Face au théoricien donc, le vulgarisateur.
800 bornes à pied pour dire l'absurdité de notre modernisme.Etienne Davodeau a trois passions : le dessin, la marche et l'écologie. Il va allier les trois pour raconter une marche de huit cent kilomètres entre deux lieux symboliques, deux espaces de transmission : la grotte de Pech Merle dans le Lot-et-Garonne, avec ses peintures rupestres qui datent de près de 30000 ans et du projet CIGEO de stockage de déchets radioactifs les plus dangereux à Bure dans la Meuse. Il va relever le défi faire les 800 kilomètres à pied par les chemins GR, mais aussi parfois sur le bord de routes nationales. Il va retranscrire ses observations, parfois les mettre en scène ainsi que des échanges réalisés avec des spécialistes de l'agronomie, de l'énergie nucléaire, des écosystèmes naturels...
Ces huit cent kilomètres de marche ne sont pas une partie de plaisir. On accompagne Étienne dans ce long moment de liberté, de réflexion, loin du monde ultra connecté dans lequel nous vivons et dans lequel nous enfonçons. Cette marche, par elle-même, impose le respect et l’échange. Elle questionne nos choix de vie et notre passivité. D'ailleurs, les gens qu'ils rencontrent sur la route sont parfois surpris par la démarche, ils sont interpellés. Parfois des gens de son cru viennent le rejoindre le temps de quelques jours puis le relivre à sa solitude.
Etienne Davodeau questionne les héritages magnifiques que les anciens nous ont laissés, il y a plus de vingt cinq mille ans, des peintures sur leurs modes de vie. Et il évoque le terrible dépôt, dont Bure est une illustration, que l'industrie nucléaire va léguer à plusieurs générations après nous, les déchets radioactifs ultimes qui ne peuvent pas être retraités et qui sont condamnés à être stockés. Il s'avère que dans une autre vie, j'ai fait de la mécanique des sols, et que j'avais eu la possibilité de faire de la recherche sur la question du stockage des déchets radioactifs en milieu argileux. Donc, je comprends parfaitement les enjeux et le piège que constitue l'énergie nucléaire actuelle.
La politique de l'autruche.On se sert de deux événements pour relancer l'industrie nucléaire en France : la cop21, d’abord, et sa dénonciation des énergies à effet de serre. A juste te titre. La guerre en Ukraine, ensuite, qui a révélé la dépendance de l'Europe aux énergies fossiles venues de Russie. EDF et Engie ont rebondi pour redorer le blason du nucléaire, rappeler que c'est une énergie verte, et moquer Allemands et Belges qui sortaient à grande vitesse de ce type de production d'énergie. La longue marche d'Etienne a pour vocation d'expliquer simplement le legs caché de quelques décennies de la production d'énergie électrique aux générations à venir. L'argument qu'on entend ça et là, est que c'est la moins pire des solutions et qu'elle ne joue pas sur le réchauffement climatique que chacun d'entre nous perçoit, alors que les déchets sont enfuis dans le sol après avoir longtemps été jetés en mer.
Etienne Davodeau a un parti pris qu'il assume. On peut le comprendre, quand il arrive à Bure, sur le site choisi pour déposer les ordures explosives. La disproportion des rapports de force en terme de communication et de moyens de pression l'engage dans ce sens et à soutenir le non enfouissage de ses déchets dans ce bois condamné. Mais, en même temps, celui qui produit une merde, la nettoie. Tant que la question de la décroissance ou d'un autre mode société ne sera pas opposé au capitalisme actuel, il faudra des centrales nucléaires qui continueront de produire des déchets radioactifs. Ces derniers sont comme les peintures rupestres, ils seront là dans 100000 ans à moins qu'on les balance dans l'espace, en mer ou en Afrique où ce fut déjà le cas dans le passé.
Etienne Davodeau : Le droit du solEditions Futuropolis, 2019
https://www.pechmerle.com/informations-pratiques/
https://www.greenpeace.fr/dechets-nucleaires-projet-cigeo-a-bure-etre-stoppe/

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