Jazz ô Château - Adam Ben Ezra et Léon Phal Quintet - Château de Pommorio, Tréveneuc, le 29 avril 2023
michel
Dans la file, le temps est long, l'affiche promettait 20h, finalement on s'est cru sur un quai de gare où le train de la SNCF, comme d'habitude, se pointera avec un retard conséquent.
Il sera plus de 20 35, lorsqu' un joyeux trio viendra annoncer le show du phénomène YouTube, Adam Ben Ezra!
Adam Ben Ezra , comme une autre star de la contrebasse, Avishai Cohen, voit le jour en Israël.
Tout gosse, à Tel Aviv, on lui refile un violon, à neuf ans il s'intéresse à la guitare, à 16 ans à la basse électrique, mais c'est avec une contrebasse qu'il se fera un nom.
Il a enregistré quatre albums, une poignée d'EP's, c'est anecdotique, son univers, c'est la scène et YouTube, il remplit et conquiert les salles de jazz, petites ou grandes, et réussit à convertir des non-initiés à l'univers de la note bleue.
Il en a été ainsi à Tréveneuc, un public en délire a salué sa prestation d'une salve prolongée d'applaudissements, ponctuée de cris de groupies en folie, et pourtant l'âge moyen des spectateurs oscillait du côté des 60 berges.
Toutefois, tu n'as pas partagé cet enthousiasme débordant... oui, la performance de l'artiste tient du phénomène, pendant plus de 30', tu auras été étourdi par ses prouesses, mais, peu à peu, son numéro de magicien/jongleur a fini par te fatiguer.
Musicalité anodine, ressenti émotionnel au niveau le plus bas, t'as eu l'impression d'assister à un spectacle de music-hall et tu te dis que Patrick Sébastien pourrait l'inviter à son plus grand cabaret du monde, où il pourrait succéder à un numéro de chenilles savantes.
Mais bon, Mr Bricolage et son public se fichent de nos considérations peu amènes, il continuera à remplir des salles et à susciter des critiques dithyrambiques.
Adam Ben Ezra travaille sans setlist, collé à sa contrebasse, aux sonorités frelatées, il la caresse, pince les cinq cordes, tapote le corps, met tout ça en boucles, tripote le sampler, appuie sur une touche du synthé pour engendrer une composition majoritairement percussive, qui, si tu fermes les yeux, te donne l'impression qu'ils sont au minimum six sur scène.
Ce premier jet, assez bref, nous en met plein la vue ( si tu ré-ouvres les yeux) et impressionne les oreilles.
Seconde tirade, à l'intro ressemblant à l'amorce de ' Fever', mêmes opérations., plus scratching, fingersnaps, coups d'archet, et loops de loop: de l'electro jazz dansant, doté de vocalises ethniques.
T'es bien parti pour un tour du monde en moins de 80 jours.
'Downtown blues ' a été composé à New -York. De son grand chapeau jaillit un mini-shaker qu'il secoue avec vigueur, chouette morceau qui te fait penser à Bobby Sichran.
Comme le gars, en plus d'être alchimiste, est aussi légèrement comédien, il nous gratifie de mimiques Jerry Lewis.
Du jazz?
OK, mais hors des sentiers battus.
Il poursuit avec 'Flamenco', sans bailaora, il compense par un numéro de claquettes pour faire plaisir à Fred Astaire, le public bat des mains, pour ensuite pousser un olé final.
T'as pas encore décroché, il embraye sur un reggae du Middle-East, sans dreadlocks et ganja, mais décoré d' un chant oriental.
La bricole continue en mode arabo-andalou, puis il nous propose un truc construit sur de gros beats, et des samples cubains, de la salsa jazz electro fourre-tout.
Il est multi - disciplinaire et passe derrière le Nord, trafiqué, pour nous balancer une sorte de Night in Tunesia version house.
Visiblement satisfait de la réaction de la salle, il nous chante une berceuse, composée pour son fils.
Reprise des manipulations, de l'échantillonnage a gogo , this is a new song, qu'il dit, en attachant une crécelle à la cheville.
Direction le désert, son sable, son soleil, son aridité, ses scorpions et ses baleines bleues ( cherchez l'erreur).
Et le trip continue, avec un coup de beatboxing par-ci, par-là, puis une reprise de ' Don't worry, be happy', chantonnée par la chorale, mais pas par ton voisin, muet.
Un chant en hébreu et une dernière fabrication maison , pendant laquelle on a droit à deux secondes de flûte, achèvent ce concert techno jazz baroque qui a subjugué 98% du public.
Il est 22h, la tête d'affiche aurait dû commencer son concert, il faut débarrasser le podium de l'attirail du jongleur, régler quelques détails pour le groupe suivant, il y a comme un problème niveau timing, du coup, dans la salle, ils sont nombreux à s'éclipser!
22:40 : Léon Phal Quintet!
Le groupe qui a le vent en poupe: lauréat du tremplin Jazz Up NJP et de RéZZo Focal Jazz à Vienne 2019, sacré " Révélation " par Jazz News et Jazz Magazine, depuis, le quintette est fort demandé.
A Paris, ils ont écumé tous les clubs de jazz, l'an denier ils se sont tapés Jazz in Marciac, en début d' été, ils sont invités au Canada, et si tu te trouves à Bruxelles fin mai, va les écouter au Jazz Marathon!
Deux albums, déjà, un troisième est en état de gestation.
Le line-up ' normal' : Léon Phal (saxophone) Zacharie Ksyk (trompette) Gauthier Toux (claviers) Rémi Bouyssière (contrebasse) Arthur Alard (batterie)
Ce soir Gauthier Toux manque à l'appel et le moins qu'on puisse dire est que son remplaçant ( présenté comme étant Oxy, enfin c'est ce qu'on a compris) , premier concert avec la formation, a fait très forte impression ( un Rhodes magistral, plus un autre clavier et du matériau électronique) , son apport au son du groupe est primordial.
Ils ouvrent avec ' Eternal Youth' de l'album ' Dust to Stars' , on est bien contents de retrouver un jazz classique (du hard bop) joué par de vrais musiciens.
Des cuivres fiévreux, un piano électrique aventureux et une rythmique assidue, que demander de plus?
Rien, tu te laisses emporter par le groove omniprésent et par les petites trouvailles magistrales du claviériste.
'All I've got' démarre mollo, un sax velouté entre en action, la trompette le rejoint, le piano sautille, avant l'arrivée, en sourdine au début, d'Arthur Alard.
Le morceau, composé de déferlantes écumeuses et d'instants paisibles, te fait voir toutes les couleurs de l'arc en ciel, en parlant aussi bien à ton âme qu'à ton esprit.
Du jazz à l'état pur: maîtrise technique, improvisation et feeling!
Avec ' Like a Monday', le groupe nous sert une première ballade sinueuse , proche des compositions suaves du regretté Roy Hargrove, que tu as eu le bonheur de voir lors d'un Brosella Jazz.
'Last Call' est méchamment plus écorché, le Fender introduit, trompette et sax caracolent de pair, puis s'éloignent et partent pour voyager en solitaire , la batterie imprime une cadence soutenue, la contrebasse, discrète, maintient le fil, du grand art!
' Stress Killer' est le titre du prochain EP, on recommande plutôt qu'un sédatif qui risque de te donner la diarrhée, car le funk, c'est connu, soigne l'hypertension!
Les cuivres amorcent 'Still Waiting' en duo, tu penses à Ornette Coleman, le piano, par petites touches, trouve une entrée, Arthur se pointe, Rémi rejoint la famille, la ballade se transforme en bouillon, ça risque de déborder, faut surveiller la cuisson!
'Let it go' démarre comme une marche funèbre, une trompette morne vient saluer le lever du drapeau, Rémi a sorti l'archet pour faire pleurer la contrebasse, le claviériste ajoute un grain de sel crispant à la composition, ça y est, le concerto, ou le requiem plutôt, est sur les rails.
Derrière-toi, Beethoven, pas encore sourd, a applaudi!
Un inédit, annonce Léon, il te dira après le concert, inédit pour le public breton, car 'Idilla' a été interprété dans le Gers.
Beau morceau, chaloupé, dans le style