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C'est ce qui s'appelle avoir le nez creux. En donnant une invitation à la russe Mirra Andreeva, les organisateurs du tournoi de Madrid (WTA 1000) ont frappé un grand coup, pour le plus grand plaisir d'un public conquis mais, peut-être pas pour celui des joueuses que la junior de seize ans a balayé comme de vulgaires fétus de paille pour arriver jusqu'en huitièmes de finales, alors qu'elle était totalement inexpérimentée, et même novice, dans un tournoi de cette catégorie. En effet, le moins qu'on puisse dire est que l'adolescente a fait honneur à cette invitation en commençant par sortir la canadienne Leylah Fernandez, finaliste de l'US Open 2021, puis la brésilienne Beatriz Haddad Maia, quatorzième joueuse mondiale, et enfin la polonaise Magda Linette, trentenaire aux plus de quinze années d'expérience et demi-finaliste du dernier Open d'Australie, à qui la sibérienne a infligé une petite humiliation 6/3 6/3. Il a fallu une Aryna Sabalenka concentrée et quasi imperturbable pour stopper la tornade blonde en huitièmes de finales 6/3 6/1.Qu'à cela ne tienne, Mirra Andreeva s'est désormais faite un nom sur le circuit WTA, bien qu'elle n'y soit pas une parfaite inconnue. Le 4 octobre 2022, elle y faisait ses grands débuts en affrontant au premier tour du tournoi WTA 250 de Monastir sa compatriote Anastasia Potapova qui eut beaucoup de peine à s'en défaire par une victoire étriquée deux manches à une. Depuis, la jeune femme s'est faite les dents sur le circuit ITF professionnel, délaissant peu à peu sa catégorie d'âge, les Juniors, pour se confronter à des joueuses plus âgées et plus expérimentées qu'elle. Le travail finit par payer rapidement puisqu'en novembre de la même année, elle s'imposait au tournoi W60 de Meitar, sans perdre un set en cours de route, et donnant même la leçon en finale à une joueuse du top 100, la suédoise Rebecca Peterson. Mais, ceci n'est rien comparé à son premier trimestre de l'année 2023, quasi parfait. Finaliste de l'Open d'Australie Juniors, où elle finissait par s'incliner à l'issue d'un match haletant contre sa compatriote et amie Alina Korneeva, elle ne se démobilisait pas et entamait la saison sur terre battue européenne par deux succès colossaux aux tournois W60 de Chiasso et Bellinzona, avec au passage des victoires sur Alexandra Cadantu, Nadia Podoroska (demi-finaliste à Roland-Garros en 2020) et la française Fiona Ferro qui ne tarissait pas d'éloges sur elle lors de son foudroyant parcours madrilène. Après son incroyable semaine dans la Magic Box de Madrid, Mirra Andreeva s'est logiquement attirée les faveurs des médias. La native de Krasnoïarsk, qui a fêté ses seize ans le 29 avril, en a profité pour montrer son aisance devant les journalistes malgré son jeune âge. Elle a aussi prouvé ses qualités sur le court par un style de jeu peu académique fait de variations qui a dérouté les trois adversaires qu'elle a battues dans le tournoi. Du talent, elle n'en manque pas, aucun doute là-dessus. De la personnalité, aussi. Une marge de progression, pour sûr. Il est par conséquent normal que le monde de la petite balle jaune, et en particulier la presse spécialisée, se soient entichées du jeune phénomène en disant d'elle qu'elle avait tout pour devenir une grande parmi les grandes. Mais, attention à rester prudent. Je suis de ceux qui pensent que Mirra Andreeva est appelée à faire une immense carrière, à tel point que je vois en elle une future numéro une mondiale aux multiples titres du Grand Chelem. Cependant, contrairement à certains, je crois qu'il est préférable de ne pas s'emballer tout de suite pour la russe et de garder le pied sur la pédale de frein car, on sait ce qu'il peut en coûter quand une joueuse de moins de dix-sept ans commence à percer très tôt sur le circuit professionnel. Un des exemples qui m'a le plus marqué est celui de Coco Gauff. Après sa victoire à L'Orange Bowl en 2018, la jeune prodige se plonge dans le grand bain de la WTA. Elle est alors de ces talents précoces à qui l'on prédit une carrière à la Serena Williams. Gauff semble dans un premier temps donner raison à cette hypothèse en gagnant son premier tournoi WTA à Linz en 2019 alors qu'elle n'est âgée que de quinze ans. Elle connaît d'autres succès par la suite, dont un à Parme sur terre battue en 2021 et surtout une participation à la finale de Roland-Garros 2022 qu'elle perd nettement contre Iga Swiatek. Depuis cette performance retentissante, la native d'Atlanta est en perte de vitesse, accumulant les revers inquiétants et se trouvant dans l'incapacité d'augmenter son niveau. C'est comme si elle se heurtait subitement à un mur stoppant net sa progression. Un mur qui est pour moi la conséquence directe d'une chose : Coco Gauff est sans doute arrivée à maturité trop vite. Euphorique et conquérante à ses débuts, elle est désormais face à un questionnement prenant des allures de crise existentielle. Que faire pour retrouver la confiance ? Quelles solutions adopter ? Comment reprendre goût à la victoire sur un circuit en perpétuelle évolution ? L'américaine, trop vite portée aux nues par une certaine presse, subit une pression trop lourde à porter pour ses frêles épaules et force est de constater que, pour le moment, les alternatives viennent à lui manquer tandis qu'approche à grand pas une seconde levée du Grand Chelem dans laquelle elle va devoir défendre beaucoup de points. Tôt ou tard, Mirra Andreeva risque d'être confrontée à ce même type de problèmes. La question est de savoir si la jeune russe saura faire preuve de patience, sans sauter les échelons. Pourra-t-elle encaisser une notoriété grandissante qui fut fatale à d'autres joueuses avant elle ? Regardez Linda Noskova, par exemple. La notoriété, la tchèque de dix-huit ans l'a prise de plein fouet, comme un autobus se précipitant sur elle, quand elle est parvenue en finale du tournoi d'Adélaïde en début de saison, après des victoires sur Potapova, Kasatkina, Azarenka, Jabeur. Où est-elle depuis ? Que devient-elle ? Noskova semble avoir été aspirée par son propre succès. La même chose pourrait-elle arriver à Mirra Andreeva ? Aura-t-on droit une nouvelle fois à un effet feu de paille ? Ce n'est évidemment pas ce que l'on souhaite à cette jeune joueuse au fort potentiel qui s'entraîne depuis 2022 à Cannes, avec sa sœur aînée Erika, dans l'académie de Jean-René Lisnard. Néanmoins, après son fabuleux parcours à Madrid, la question reste posée et incite logiquement à la prudence.