En hommage à Thelonious Sphere Monk, Sullivan Fortner joue avec un petit chapeau sur la tête. Il commence en testant le piano. Son jeu s'organise. C'est gracieux, léger de la main droite, grave et appuyé main gauche. Je ne connais pas ce thème. Ca swingue élégamment. Pendant quelques secondes, il chante sa mélodie.
De nouveau, il attaque vite et fait jaillir des notes. Il revisite le piano stride, dans un autre style que Marc Benham, plus américain. D'abord un ragtime " Graceful ghost rag " ( William Bolcom) puis un thème de Jelly Roll Morton, l'autoproclamé " Inventeur du Jazz ", " Grandpa's Spells ".
Une chanson de Stevie Wonder que sa mère lui a appris " parce que vous, les jeunes, vous ne connaissez pas la vraie musique ". " Overjoyed " (Album " In square circle ", 1985). Sa mère a raison. Stevie Wonder, c'est de la vraie musique. Il le joue comme une ballade de Jazz, sans les criquets, les oiseaux et l'eau de la version originale. Il arrive au thème mais il l'assombrit alors que Stevie Wonder est la Lumière incarnée (" Stevie Wonder est un prophète de la musique ". Michael Jackson).
Sullivan Fortner installe un ostinato main gauche et varie gracieusement main droite. C'est frais. Thème inconnu de mes services. Quelques secondes de " La Marseillaise " en clin d'œil à la France. Il s'énerve et frappe le piano en grappes de notes. C'était " Everybody's song but my own " ( Kenny Wheeler).
Nous sommes le 29 avril, un jour spécial, le jour anniversaire de Duke Ellington, né le 29 avril 1899 à Washington. " Le plus grand à avoir écrit et joué cette musique, à mon humble opinion. L'homme derrière le rideau qui actionne les marionnettes. Je lui tire mon chapeau ". Une composition de Duke Ellington, et non pas de son alter ego Billy Strayhorn, " In a sentimental mood ". Je reconnais le thème dès les premières notes. Version particulièrement dense émotionnellement. Une ballade jouée au ralenti. Pas de fioriture. Il joue le thème, impliqué, concentré, touchant. Silence religieux dans la salle. Même le public se fait discret.
" Love for sale ". Un standard du Jazz joué de façon étonnante. Il masque le thème qui se devine sus jacent, comme le fait si bien Martial Solal. Je bats de nouveau la mesure du pied. Bon signe.
" Sing " lui demande une spectatrice. " I don't have the voice today " lui répond t-il. Il cherche le thème, le chantonne. Effectivement, il n'est pas en voix mais il chante quand même. Une ballade. Une chanson d'amour triste.
Un morceau de classique traité en Jazz. L'expertise des pianistes Marc Benham & Ziad Kreidy, maintes fois célébrés sur ce blog, me manque cruellement pour identifier le thème et les changements que Sullivan Fortner y apporte. C'est du piano romantique. Chopin dit une spectatrice passionnée qui mime le jeu du pianiste. Il me semble qu'il enchaîne plusieurs thèmes. Il repart sur du jazz stride. Bel exercice de style avec du feeling. En plus du chapeau, Sullivan Fortner est barbu. " Hat and beard ", thème d' Eric Dolphy dédié à Thelonious Monk. Il manque la cigarette sur le piano, interdite en 2023, pour compléter l'identification au Prophète. Par contre, il ne joue pas du piano comme Monk. D'ailleurs, personne ne joue du piano comme Monk.
Retour à Duke Ellington, enfin à son alter ego Billy Strayhorn, avec " Lotus Blossom ". Sullivan Fortner nous raconte qu'un fan lui a envoyé le relevé note par note d'une interprétation qu'il avait donné de ce thème. Il était incapable de la lire et pourtant il l'avait joué. C'est bien le thème nostalgique et envoûtant de " Lotus Blossom ".
J'ai eu ma dose de beauté pour la soirée. Pour moi, le concert est fini.