Rappelons très rapidement l'histoire de la Polynésie française qui est un territoire français regroupant cinq archipels de 118 îles au total, de plus de 4 000 kilomètres carrés et accueillant un peu plus de 300 000 habitants (l'équivalent de l'agglomération de Nancy, par exemple).01" Les Polynésiens ont voté pour le changement. Le gouvernement prend acte de ce choix démocratique. Nous travaillerons avec la majorité nouvellement élue avec engagement et rigueur, pour continuer d'améliorer le quotidien de nos concitoyens polynésiens. " (Gérald Darmanin, le 1er mai 2023 sur Twitter).
Le Ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin, a pris acte de ce qu'il pourrait ressentir comme un revers. Ce dimanche 30 avril 2023 a eu lieu le second tour des élections territoriales en Polynésie française (le premier tour avait eu lieu le 16 avril 2023). Peu de médias ont évoqué cette information venue de très loin (de l'autre bout du monde), ou plutôt, si, mais de manière plutôt distraite sinon discrète, alors qu'elle concerne pleinement la France puisque la Polynésie française, comme son nom l'indique, est un territoire français. L'événement, c'est la victoire électorale des indépendantistes. Sans ambiguïté.
Protectorat français en 1842, colonie française en 1880, territoire d'outre-mer (TOM) en 1946 (avec la citoyenneté française et l'élection de parlementaires), la Polynésie française a joué, par la volonté du Général De Gaulle, un rôle stratégique dans la dissuasion française dans le sens où les essais nucléaires ont été localisés en Polynésie française (à Mururoa et Fangataufa : 193 essais nucléaires aériens puis souterrains ont eu lieu entre 1966 et 1996).
er mai 2023)
Le territoire polynésien a été doté principalement de trois statuts successifs dans la période récente, avec une autonomie croissante : le statut d'autonomie en 1977 (à la suite d'une crise importante), le statut de 1984 (à la suite des lois Defferre de décentralisation de 1982) qui a institué un gouvernement de Polynésie française (avec un président du gouvernement), enfin, le statut actuel, qui date de 2004 (loi organique n°2004-192 du 27 février 2004), avec le président du gouvernement qui devient président de la Polynésie française, titre qui va avec des institutions locales : le président peut dissoudre l'Assemblée territoriale et les députés territoriaux peuvent censurer le président, dans le premier cas, de nouvelles élections sont organisées.
À partir de 2004, il existe donc une véritable autonomie, qui permet à la Polynésie française d'avoir ses propres lois (qui doivent rester compatibles avec la Constitution française) et le gouvernement polynésien peut nouer des accords internationaux avec des pays étrangers, même hors de l'Océan Pacifique. Effectivement, la révision constitutionnelle n°2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a institué les Collectivités d'outre-mer, qui ont gagné en autonomie de gestion et qui sont actuellement au nombre de cinq : la Polynésie française, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.
En 1978, l'état des forces politiques étaient très grossièrement deux tiers de la population protestante (et autonomiste) et un tiers catholique (et gaulliste : cela a permis à Gaston Flosse de se faire élire député). Depuis 2004, le clivage se fait plutôt entre les autonomistes, plutôt du centre et de droite, et les indépendantistes, plutôt de gauche.
Entre 2004 et 2014, la vie politique polynésienne est absolument incompréhensible pour l'observateur extérieur, dans un jeu de pouvoir à trois, Gaston Flosse (gaulliste), Oscar Temaru (indépendantiste) et Gaston Tong Sang (issu anciennement du parti de Gaston Flosse mais prenant son indépendance politique). Sans majorité absolue d'un parti, ces trois personnalités se sont partagées la présidence de la Polynésie française, changeant douze fois de locataire entre le 27 février 2004 et le 5 septembre 2014 (chaque parti tentant de censurer l'autre, avec parfois des alliances politiciennes incohérentes comme entre Gaston Flosse et Oscar Temaru contre Gaston Tong Sang, etc.).
Depuis le 12 septembre 2014, Édouard Fritch préside le gouvernement de Polynésie française, réélu le 18 mai 2018. Dauphin de Gaston Flosse (qui avait été condamné à l'inéligibilité), Édouard Fritch jouit depuis deux mandats d'une stabilité grâce à une majorité absolue de Tapura huiraatira, dont il est le président (il a quitté le parti de Gaston Flosse pour créer son propre parti). Positionné au centre droit et soutenu par l'UDI, LR et LREM, Tapura a obtenu 43,0% des voix au premier tour et 49,2% des voix au second tour, lors des précédentes élections territoriales des 22 avril et 6 mai 2018, lui permettant d'avoir la majorité absolue des sièges, 38 sur 57. En face de lui, il y avait Tahoeraa huiraatira (devenu Amuitahirra o te nuna'a Maohi) avec 11 sièges (le parti de Gaston Flosse mené actuellement par Bruno Sandras) avec 29,4% au premier tour, et Tavini huiraatira (le parti indépendantiste d'Oscar Temaru) 8 sièges (20,7% au premier tour).
Le premier tour de ces dernières élections territoriales, le 16 avril 2023, a été un succès pour les indépendantistes même s'ils sont minoritaires : Tavini (mené par Oscar Temaru) a obtenu la première place avec 34,9% des voix (gain de 14 points), suivi de Tapura (mené par Édouard Fritch) 30,5% (perte de 12 points !). Amuitahiraa o te nuna'a Maohi (mené par Bruno Sandras) s'est écroulé à 11,9% (à comparer aux 29,4% de 2018). Un nouveau parti, anti-indépendantiste, A here ia Porinetia (AHIP), a été créé en septembre 2020, dissidence de Tapura huiraatira et de Tahoeraa huiraatira, par Nicole Sanquer (ancienne députée UDI) et Nuihau Laurey (ancien sénateur UC) ; tous deux, comme parlementaires, ont parrainé et soutenu la candidature de Marine Le Pen à l'élection présidentielle de 2022, et ce parti a obtenu 14,5% des voix.
Au second tour du 30 avril 2023, Tavini huiraatira a amélioré son score avec 44,3% des suffrages, lui permettant d'atteindre et de dépasser la majorité absolue en envoyant à l'Assemblée territoriale 38 députés polynésiens sur 57. La majorité sortante Tapura huiraatira allié au second tour avec Amuitahiraa o te nuna'a Maohi n'a même pas totalisé les scores du premier tour avec 38,5% et 16 sièges. A here ia Porinetia (mené par Nuihau Laurey) a, lui, eu une progression entre les deux tours avec 17,2% des voix et 3 sièges.
La division des anti-indépendantistes de centre droit était importante puisqu'au-delà des trois partis cités (de cette tendance), il y en avait un quatrième, Ia Ora te Nuna'a (mené par Teva Rohfritsch) qui a quand même obtenu 4,4% au premier tour (mais n'a pas pu se présenter au second tour).
Le report des voix du parti écologiste (Heiura mené par Jack Bryant) n'explique pas le succès des indépendantistes (les écologistes ne représentaient que 1,9% des voix). La forte progression de Tavini huiraatira entre les deux tours s'explique plutôt par une forte augmentation de la participation électorale entre les deux tours, passant de 60,1% à 70,0%. Ces quelque 21 000 électeurs supplémentaires correspondent à cette progression : 20 909 votants en plus entre les deux tours, plus les 2 373 électeurs écologistes, peuvent expliquer les 21 150 électeurs supplémentaires des indépendantistes entre le premier et le second tours.
La suite logique de cette victoire est la très probable élection du député PCF Moetai Brotherson, au nom de Tavini huiraatira, à la présidence de la Polynésie française le 12 mai 2023 ; gendre du leader historique Oscar Temaru, Moetai Brotherson (d'un père d'origine danoise) était également, entre 2014 et 2020, conseiller municipal de Faaa dont le maire est Oscar Temaru depuis 1983 (Faaa, limitrophe de Papeete, est la ville la plus peuplée de la Polynésie française).
Cette élection présidentielle polynésienne est sur le mode d'une élection de président d'assemblée : le président de la Polynésie française est élu à la majorité absolue au premier et second tours et relative au troisième tour. Avec 38 sièges sur 57, il n'y a donc aucune incertitude sur l'élection, dès le premier tour, de Moetai Brotherson, à moins d'un rebondissement politique dont la Polynésie française a le secret. Édouard Fritch, pour la majorité sortante, et Nicole Sanquer, pour AHIP, devraient être candidats également, sans aucun chance d'être reconduits ou élus.
France Télévisions, dans son article évoquant ce scrutin, pense utile d'écrire, en parlant des indépendantistes victorieux : " Cette victoire les place notamment en position de force face à l'État français pour négocier un processus de décolonisation et un référendum d'autodétermination. ". Même si, effectivement, c'est la première fois depuis 2004 que les indépendantistes jouissent d'une majorité absolue, donc stable, à l'Assemblée territoriale (pour un mandat de cinq ans), ce n'est pas la première fois que la Polynésie française a été dirigée (et présidée) par un indépendantiste puisque Oscar Temaru a été élu président de la Polynésie française déjà cinq fois : du 14 juin 2004 au 22 octobre 2004, du 3 mars 2005 au 26 décembre 2006, du 13 septembre 2007 au 23 février 2008, du 11 février 2009 au 24 novembre 2009 et du 1 er avril 2011 au 17 mai 2013.
Au-delà du clivage sur l'indépendance (qui est un clivage entre indépendantistes et autonomistes, alors qu'il y a cinquante ans, les gaullistes n'étaient pas autonomistes), c'est bien le clivage droite/gauche qui a fait basculer la majorité de l'Assemblée territoriale.
Marine Le Pen avait obtenu en Polynésie française, au second tour de l'élection présidentielle du 24 avril 2022, 48,5% soit 7 points de plus que la moyenne nationale, et en juin 2022, trois députés de gauche ont été élus sur les trois circonscriptions que compte la Polynésie française (dont le futur président de la Polynésie française).
La victoire des indépendantistes a fait au moins un heureux en métropole, le saboteur en chef des institutions de la France, Jean-Luc Mélenchon, tout excité à l'idée de décolonisation, a en effet balancé un tweet le 1 er mai 2023 : " Une nouvelle époque commence. Exigeante de respect mutuel, d'esprit de raison et de compromis. Macron ne doit pas brutaliser les gens. ". On ne voit pas ce que le Président Emmanuel Macron vient faire là, mais celui qu'il appelle camarade, le député Moetai Brotherson, n'a pourtant pas choisi le groupe des insoumis, ni en 2017 ni en 2022 ; il a préféré le groupe communiste plus sage avec les institutions...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le vent se lève-t-il en Polynésie française ?
La Nouvelle-Calédonie dit non à l'indépendance.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230430-polynesie-francaise.html
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/le-vent-se-leve-t-il-en-polynesie-248132
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