C’est un autre triplé qui a été retenu, et qui lui aussi revient comme un leitmotiv : Les filles comme nous.
Il est vrai que si la question de la couleur de peau est au coeur du récit, il n’empêche que, s’agissant d’un texte écrit à la première personne du pluriel, il était important de respecter cet aspect. Même si le premier chapitre de la première partie, « Filles de couleur », se comprend mieux avec le titre anglais (p. 13). Alors que, quelques pages plus loin, « Filles comme vous » continue de nous interpeler.Le récit semble décousu, hoquetant, mais ce n’est qu’une apparence car la lecture est facile, voire même très agréable et vite addictive. Il se déroule comme un ruban, d’un chapitre à l’autre, composant huit parties, inégales (la dernière n’a qu’un chapitre). Le livre raconte la vie, de la naissance à la mort, de la population féminine (noire) des habitantes du Queens, un des cinq arrondissements de New-York, entourant Brooklyn, à l’extrémité de l’île de Long Island.Et c’est en toute logique que des dizaines de prénoms sont égrenés au fil des pages : Certaines d’entre nous (c’est-à-dire -mais pas seulement- : suivi une énumération de prénoms …).C’est le quartier où Daphne Palasi Andreades a grandi. Elle le connait très bien et elle a voulu rendre hommage à ses habitantes, en ne se polarisant pas sur une seule famille ni sur une seule génération. L’emploi de la première personne du pluriel donne davantage de puissance aux affirmations, et évite l’autocentrage. Le récit est très vivant, d’une écriture qui progresse comme un rap. Souvent les mots ou les expressions sont triplées, et reviennent comme un refrain, introduisant quelque chose de musical.Les racines se heurtent aux diktats de la culture et des souhaits des parents pour qui L’éducation est le seul moyen de réussir (p.40) alors que le mantra des filles, qui est écrit en majuscules pour bien signifier sa force c’estje ne veux pas rester moisir ici toute ma vie (p. 42). Tout le monde s’accordera sur un point, la nécessité de réussir à l’université, la meilleure possible, quitte à sortir du Queens. Mais quand elles ont échoué aux examens, l’art sera qualifié deplanche de salut(p. 99) même si plus loin il deviendranotre prison(p. 120).Tous les visages de la couverture paraissent se ressembler mais ils sont différents. Au fil du temps, celles qui se sont jurées de rester amies pour la vie verront leurs routes diverger. Bientôt il y aura Celles qui partent, celles qui restent (p. 113). Jusqu’à ce que certaines prennent conscience d’une amère réalité : Nous sommes des fantômes du futur (p. 190).Le récit commence très tôt, alors qu’elles n’ont que 13 ans. Les filles deviendront mères à leur tour, et la mort surgira tôt pour quelques-unes.J’ai beaucoup aimé ce voyage dans une culture que je ne connaissais que de loin, dans ce pays si particulier que sont les Etats-Unis, où il est normal de ne parler qu’une seule langue, l’anglais (je me souviendrai et reprendrai la blague de la p. 136 à ce sujet). Je vous laisse la savourer et apprécier combien l’auteure peut (aussi) faire preuve d’humour.Daphne Palasi Andreades a grandi dans le Queens, au sein d’une famille d’immigrés philippins. Mais, et c’est une des forces de son livre, elle n’a pas cherché à se focaliser sur la diaspora philippine mais sur tout ce qui peut concerner des filles (et des femmes) de couleur. Elle est cependant une des rares romancières d’origine philippine. Elle est diplômée de l’université de Columbia où elle a obtenu un master de « fine arts », soit un deuxième cycle en écriture créative, Elle nous offre ici un premier roman plein de promesse.
Les filles comme nous de Daphne Palais Andreades, traduit de l'américain par Emmanuelle Aronson, Les Escales, Collection Domaine étranger, en librairie depuis le 12 janvier 2023Finaliste du Center for Fiction 2022 First Novel Prize