« Ma che cazzo fai con la mia macchina ? »
Le jeune transalpin en transe traverse mon champ de vision, le téléphone portable à bout de bras, haut-parleur plein pot. Ça grésille de l’autre côté des tuyaux : son pote garagiste ou pourquoi pas son frère ? Oui, c’est ça, son frère cadet qui a laissé les phares allumés et maintenant la batterie est à plat.
Cazzo ! Quel beau mot, qui claque, sec et tranchant, se crie ou sort en sifflant des incisives, décharge électrique pour colère homérique. Lancé à pleine puissance entre les murs de cette place carrée, ce cazzo ! rebondit, résonne, m’extrait de la contemplation de ce ciel atone d’où aucune goutte de pluie ne se décide à tomber.
« Mais qu’est-ce que tu branles avec ma voiture ? » On ne le saura jamais. Pendant qu’il s’éloigne, je lui ai fabriqué un frère cadet, mais il l’a peut-être prêtée à un ami pour le weekend et la virée romantique en décapotable s’est terminée sur le pont d’une dépanneuse, version catastrophique. Ou à la fourrière, version apocalyptique.
On imagine plein de choses, assis sur un banc de square, le vélo fatigué adossé à un pilier. On balance une gorgée d’eau fraiche dans les tuyaux pour rincer la dernière bouchée du sandwich tomate-mozzarella.
Encore une fois, on regrette son choix.
Tomate anémique et pâle du genou. On rêvait du fruit des Pouilles, de son épiderme écarlate et craquelé de soleil. On avait oublié l’impossibilité de l’éclosion d’une vraie tomate dans les jardins du mois d’avril. Che peccato ! Toute une vie hors-sol sans jamais avoir mis les racines dans la terre et les feuilles au soleil. Tromperie. Imposture. On devrait trouver d’autre noms pour ces végétaux artificiels.
Un couple de japonais passe et repasse.
Des jumeaux dorment sous une cloche de plastique transparent.
On dirait que le ciel s’éclaircit. La boulangère m’a demandé si c’était pour emporter. J’ai dit que c’était pour tout de suite. Elle s’en doutait. Mon casque sans doute. Ma part de tarte aux pommes repose simplement sur une assiette en carton blanc. Le moment est venu de procéder au sacrifice. Visuellement, la proportion pâte-fruit me parait idéale. Maintenant il s’agit de voir si ramage et plumage font bon ménage. La première bouchée me laisse bouche bée. Des Canada ! C’est bien ça. Variété de pommes cabossées à la peau épaisse qui poussait sur les pommiers tordus de mon enfance. Une fois cuite, leur chair ferme s’abandonne, se caramélise et fond sous la dent. Tendre et ferme. Acidulée et sucrée.
Je tiens une tranche de vie entre mes mains.
Une part d’enfance.
Un miracle vert et doré.