J’étais prévenue. C’est un spectacle segmentant qu’un spectateur sur deux plébiscite ou horripile. A moins de rassembler un public averti comme celui qui fut tant enthousiaste fin mars au Centre Pompidou.
J’ignorais si j’allais adorer ou détester mais rien ne pouvait tempérer mon intention. Surtout avec la collaboration artistique des deux Chloé, Chloé Moglia qui m’avait subjuguée lors de la première représentation qui eut lieu dans ce théâtre Devedjan et bien sûr Chloé Thévenin dont la musique m’avait tant touchée lors de l’inauguration de la Scala Provence, pendant le sus-dit festival.
Chacun s’arrête sur ce qui le touche. Certains auront entendu des cigales. J’ai d’emblée reconnu les cris des singes hurleurs qui m’avaient impressionnée dans la cité maya de Calakmul, au sud du Mexique. C’est vous dire aussi combien les palmiers me sont habituels.
Si Maëlle Poésy a tendance à préférer que le spectacle soit donné en extérieur je dois dire que la salle dans laquelle nous sommes entrés s’y prêtait bien. Le fait de ne pas voir le ciel instaure une impression de boite noire sur laquelle un couvercle aurait été posé (je vérifierai plusieurs fois, mais sans rien percevoir de tel), comme une cinquième dimension. Je n’avais jamais pensé jusque là que le plafond pouvait constituer une sorte de « cinquième mur ». Le dispositif est saisissant même s’il aurait été préférable de retirer les fauteuils des deux premiers rangs afin de ne pas avoir la sensation d’avoir le nez dans l’image centrale.
On découvre, sur trois écrans géants, un film (des films ?) de la photographe et vidéaste Noémie Goudal et de la metteuse en scène Maëlle Poésy, tournés spécialement à mi-chemin entre réalité et fiction pour cette création et inspirés de la paléo-climatologie, une discipline qui étudie les transformations de notre planète à travers les âges. Assise au second rang, ma nuque ne cessa de faire des allers-retours entre jardin et cour pour saisir un changement infime que très vite j’ai remarqué, au rythme d’une respiration.
On s’habitue vite aux passages des techniciens sur le plateau ou apparaissant dans le film qui nous est projeté, assemblant un puzzle de bandes de papier découpés et de cadres. On tresse. On tisse. Il se passe toujours quelque chose à l’instar d’un feu de cheminée dont les flammes captivent ou du mouvement fascinant des vagues de l’océan.
La jeune femme est DJ dans les clubs et festivals, mais elle travaille aussi en studio à construire des mondes, des atmosphères, à faire des ponts avec d’autres cultures que celle du clubbing. Productrice d’albums, sortes d’autoportraits électroniques, Chloé signe également des BO de films, des musiques pour la danse ou l’habillage sonore de France Culture.
Soudain, alors que jusque là mon attention s’était fixée sur deux images, c’est sur la troisième que je remarque une modification. Anima nous apprend à regarder, écouter, ressentir. M
ême lorsqu’on croit qu’il ne se passe rien, c’est faux. Le mouvement est constant.Le minéral a pris le dessus sur la forêt primaire, détruite par le feu. Aucune des images n’est figée en quelque sorte. Je pense au rivage oléronnais qui recule de semaine en semaine, grignoté par les marées successives et dont le déplacement saute aux yeux à chacun de mes retours sur l’île.
Quand ça s’arrête je ressens de la déception. Le public applaudit, chaleureusement, mais personne ne se lève pour quitter la salle. Comme si nous espérions tous que les choses reprennent, se poursuivent. Personnellement, et c’est rarissime, je n’ai pas vu le temps passer.
Je m’interroge déjà sur ce que Maëlle Poésy présentera la prochaine fois avec Cosmos sur lequel elle travaille avec Kévin Keiss, ce dramaturge qui m’a déçue hier. Mais je suis volontiers prête à ne pas avoir d’idée toute faite.
Anima, performance-installation conçue et réalisée par Noémie Goudal et Maëlle PoésyA partir de l’œuvre Post Atlantica de Noémie GoudalEcriture de la suspension et sa réalisation Chloé Moglia
Musique originale composée et interprétée par Chloé Thévenin
Scénographie Hélène Jourdan
Lumières Mathilde ChamouxFilm réalisé par Noémie Goudal et Maëlle Poésy Avec les apparitions d’Alexis Allemand, Aménophis Boum Make, Georges Olivier, Claude Guillouard, Maëlle Poésy, Noémie Goudal, Thomas Piffaut, Graciela Walinsky
Vue au théâtre Patrick Devedjan, la salle de l’Azimut située à Anrony (92)La photo qui n’est pas logotypée A bride abattue est de © Christophe Raynaud de Lage