Révolution. L’année 2023 file vite et l’IA, depuis l’apparition dans nos vies quotidiennes de ChatGPT, observe un bond en avant qui effraie autant qu’il fascine. Jusqu’à un certain point. L’Intelligence artificielle sort de la brume, malgré son concept encore flou pour le commun des mortels. Chacun a bien compris désormais, à la lumière de ChatGPT, que les robots en ligne allaient bouleverser l’agencement de nos intelligences au point que certains évoquent déjà une “révolution anthropologique”. Pensez-donc. L’IA dépasse dans nos fantasmagories tout ce que nous imaginions et permet à n’importe qui de rédiger à la vitesse d’un clavier au galop un poème, un devoir scolaire, une recette de cuisine, un rapport, une histoire pour endormir vos enfants, des lignes de code, de la musique, des photographies sorties de nulle part, bref, tout ce dont vous avez besoin. Ajoutons sans plaisanter: même un article...
Photo. Deux exemples dans l’actualité viennent littéralement de nous stupéfier. Evoquons, d’abord, le dernier lauréat 2023 du prestigieux concours Sony World Photography Awards. L’oeuvre récompensée dans la catégorie “création” s’appelle, en français, «Pseudomnésie: l’électricienne». Ce magnifique cliché montre deux femmes, l’une contre l’autre, de deux générations différentes. Unanimité du jury. Problème, son auteur, l’Allemand Boris Eldagsen, a immédiatement refusé le prix. Avez-vous deviné pourquoi? L’homme a reconnu que rien n’était réel dans cette image trompeuse mais d’une illusion parfaite. Elle n’était que le travail d’une intelligence artificielle. Même les plus avisés peuvent tomber dans le panneau, la preuve, puisque, selon les spécialistes, rien ne “laissait supposer que cette photo n’en était pas une”, les coiffures, les vêtements, et surtout la plastique de l’image, au ton sépia, ressemblait à un document capté dans les années 1950 par un appareil photo argentique. Ayant “minimisé l’ampleur de l’aide de l’IA, l’auteur a déclaré vouloir susciter “un débat”. L’image primée a depuis été décrochée en toute hâte d’une exposition officielle. Polémique.
Musique. Arrêtons-nous maintenant sur le second cas, non des moindres. Depuis le 14 avril dernier, un clip musical posté sur le réseau TikTok connaît un succès retentissant, plus de dix millions de vues. Attribuée dans un premier temps aux artistes canadiens Drake et The Weeknd et intitulée Heart On My Sleeve, le morceau fait référence à la chanteuse et actrice Selena Gomez, avec laquelle The Weeknd a entretenu une brève relation sentimentale. Nouveau problème, aucune des deux stars n’a participé à l’enregistrement de ce titre. Eux aussi sont tombés de haut: l’“oeuvre” est le fruit d’une Intelligence artificielle, qui a réussi, et plutôt magistralement, à imiter leur voix et leur style. Derrière la supercherie, un pseudonyme, Ghostwriter977. Cet épisode montre à quel point le secteur musical, lui non plus, n’est pas à l’abri des technologies d’IA générative, ce qui pose des questions quasi existentielles quant au sacro-saint respect de la propriété intellectuelle et les possibilités inouïes de contrefaçons. L’usage de l’IA doit-il être prohibé pour la création musicale? Mais comment, et à quel titre? L’ineffable David Guetta a déjà utilisé ce genre d’outil pour écrire une chanson dont les paroles reproduisaient le style et la voix du rappeur américain Eminem. De nouveaux styles naissent-ils – aussi – par les nouvelles technologies? Vaste débat. Information importante : avant d’être retiré, le morceau Heart On My Sleeve avait été publié sur plusieurs plates-formes musicales et consulté des centaines de milliers de fois...
Cerveau. Devons-nous avoir peur, ou non, de ces machines, capables d’influencer nos comportements comme notre capacité à réfléchir, sans parler de notre libre arbitre? Avons-nous raison de craindre que cette technologie octroie aux développeurs du capitalisme une puissance potentiellement démiurge sur toutes les sociétés de l’humanité? Précision: inspirée de faits réels mais toutefois alimentés par quelques écrits, cette chronique a bien été pensée par un seul cerveau humain. Le bloc-noteur entre en résistance.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 28 avril 2023.]