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Nous étions nombreux à nous languir d'un possible affrontement entre Iga Swiatek et Emma Raducanu au deuxième tour du tournoi WTA 1000 de Madrid. Sauf que, voilà, la britannique annonçait finalement son forfait de dernière minute avant de rencontrer la bulgare Victoriya Tomova pour son match d'ouverture en citant une blessure à la main qui la poursuit depuis déjà un certain temps. Si cet événement n'aura pas de conséquences financières pour la championne de l'US Open 2021 (on va y revenir), ce n'est pas la même histoire sportivement parlant étant donné que Raducanu va officiellement sortir du top 100 à l'issue du tournoi, et ce neuf mois seulement après avoir tutoyé les sommets en atteignant son meilleur classement, dixième, à la WTA.
La chute est rude pour celle dont tout le monde disait que la Grande-Bretagne avait enfin trouvé sa nouvelle pépite. Mais, les lendemains déchantent. La victoire de la native de Toronto à l'US Open avait chamboulé le monde de la petite balle jaune. À dix-huit ans, Emma Raducanu faisait une entrée fracassante dans la cour des grandes en donnant un bon coup de pied dans la porte. Ce qu'on ignorait alors, même si certains l'avaient pressenti, c'est que la jeune femme allait subir très vite le contre-coup de ce chamboulement en devenant incapable d'absorber une toute nouvelle notoriété beaucoup trop grande pour elle. Certes, elle n'était la première à craquer mentalement sous la pression d'un événement trop lourd à digérer. Des joueuses comme Jelena Ostapenko, Garbine Muguruza ou Sofia Kenin sont également passées par-là dans un passé récent. En revanche, ce qui est ici troublant est de voir avec quelle manière la jeune britannique s'est torpillée elle-même dans sa gestion de l'après.
En gagnant l'US Open en 2021, Emma Raducanu a empoché la coquette somme de 2,5 millions de dollars. Ça fait beaucoup de zéros pour une joueuse alors classée 150e mondiale avant le tournoi et sortant à peine de la confidentialité du circuit ITF, même si, avant cela, elle s'était déjà mise en évidence en atteignant les huitièmes de finales à Wimbledon. Après cette victoire monumentale, de grandes entreprises évoluant dans des domaines variés comme l'industrie automobile, la joaillerie, les télécommunications, l'aéronautique et la mode ont commencé à faire les yeux doux à la britannique, flairant la poule aux œufs d'or. La championne de l'US Open a ainsi embrassé un rôle d'ambassadrice pour Porsche et s'est engagée, par la même occasion, à faire la promotion de Dior, Tiffany, Vodafone, HSBC, Evian et British Airways. Les résultats ne se sont pas faits attendre. En 2022, Emma Raducanu était selon le magazine Forbes la troisième joueuse de tennis la mieux payée au monde, après Naomi Osaka et Serena Williams (la sixième en incluant les messieurs). Ses gains s'élevaient en tout à 21,1 millions de dollars. Vertigineux mais, en regardant de plus près, il était établi que sur ces 21 millions, 3 millions seulement provenaient des performances sportives de la jeune femme tandis que les 18 millions restants correspondaient à ses recettes extra-sportives, autrement dit le sponsoring découlant des contrats mirobolants qu'elle avait signé avec toutes les marques citées plus haut. Le sabordage de la britannique ne commencerait-il pas à cet instant ? Peut-être car, si l'on y réfléchit bien, Raducanu s'est retrouvée dans une situation inédite en sortant de l'espace purement sportif pour s'aventurer dans un monde inconnu pour elle et qu'elle ne pouvait maîtriser aussi bien qu'une Serena Williams ou une Naomi Osaka, à tel point qu'elle en a perdu ses repères. Bien sûr, on sait à combien il est délicat pour une joueuse qui remporte son premier grand titre de faire face aux nombreuses sollicitations médiatiques et extra-sportives qui lui incombent. La tentation est grande de rester en suspension au-dessus du sol, de ne pas redescendre de son nuage et de renvoyer une image de soi à la hauteur des attentes. Pour Emma Raducanu, comme pour d'autres joueuses avant elle, le passage de la confidentialité à la notoriété a sans doute été vécu comme un arrachement, un éloignement d'une zone de confort dans laquelle on se sentait bien. Mais ici, et par-dessus tout, l'ex-dixième joueuse mondiale s'est laissée distraire sans véritablement mesurer les conséquences, pour finalement sortir du cadre. D'où une certaine désillusion s'exprimant dans la presse sportive qui voyait en Raducanu l'avènement d'une jeune championne appelée à devenir une grande parmi les grandes. Sauf que, l'avènement en question se fait toujours attendre, ce qui n'est pas sans occasionner des tensions entre la joueuse et les médias spécialisés. Sans le vouloir, la lauréate de l'US Open a trouvé le bon prétexte pour expliquer ses mauvais résultats : sa blessure à la main l'empêche de progresser et de retrouver le niveau qui était le sien à Flushing Meadows. Certes, mais personne n'est dupe. Le mal est profond et s'inscrit durablement dans un choix malencontreux d'avoir trop délaissé la pratique du sport de haut niveau pour céder aux sirènes des richissimes sponsors. C'est ce qui est principalement reproché à la britannique aujourd'hui et il est clair qu'elle n'accepte pas les critiques qui lui sont faites à ce sujet.
Emma Raducanu s'est-elle laissée happer par un système trop gros et trop complexe pour elle ? Son forfait au tournoi WTA 1000 de Madrid est un coup dur aussi bien pour elle que pour les sponsors qui lui ont fait confiance et qui, par voie de conséquence, pourraient revoir leurs ambitions à la baisse en tournant le dos à une jeune femme bientôt hors top 100 et devenue au fil du temps le simple rouage d'un inébranlable mécanisme commercial. Raducanu est-elle appelée à disparaître de la circulation ou parviendra-t-elle, au contraire, à se remettre dans le bon sens en se délestant d'un poids trop lourd pour elle ? Les semaines qui viennent seront décisives.