La bagatelle prendra 3 ans. car Shields jamais convaincu par ce qu'il triture dans son studio, remet tel un Brian Wilson moderne, l'ouvrage sur le métier. Finalement en 91, après 3 ans de tâtonnements et avoir rincé 18 ingénieurs du son, naît Loveless. Tout le monde connaît l'histoire des 250 000 livres sterling de budget - à l'époque la livre est à son zénith et vaut l'équivalent de 11 francs ! - qui mènent le label Creation et son ambitieux président Alan Mc Ghee au bord de la faillite. Mais quand on passe ne serait-ce que 6 mois pour enregistrer la rythmique d'un titre....Loveless on le sait ne ressemble à aucune autre torture auditive entendue précédemment. Car si les mélodies sont évidentes dans leur adorable simplicité, elles vrillent les tympans. On passe dès lors sur les paroles, noyées sous un déluge de pédales d'effets, de tous ces titres courts velvetiens que sont "When you smile", "Come in alone", "I only said", "What you want" ; car l'essentiel est ailleurs. Bilinda qui chante et ânonne de toute façon comme une Liz Fraser (énorme influence des Cocteau Twins au passage) tient des propos quasi inaudibles. Puisque son mentor et amant a eu l'idée de flanquer sa Jazzmaster près d'un micro lui-même relié à deux amplis qui se font face.
On tient là une partie du secret du magma sonore inaugural "Only shallow", dont les bends de sol et do sous vibrato évoquent des sons de cuivre MIDI, une foreuse, des barrissements saturés, ce que l'on voudra mais certainement pas une guitare ! Les deux amplis renvoyant chacun leur trémolo à une vitesse différente, sont ensuite dupliqués et les deux notes en bend jouées ensemble de fournir ainsi un décalage, un feedback à quatre vitesses. Puis un nouvel échantillonnage du son obtenu est joué à l'envers et ajouté au reste. Le tout associé à la même partie jouée une octave plus haut. Une boss tuner (pour l'octave), une fuzz et bien entendu l'ajout de trémolo donnant le résultat que l'on sait.
Ceci est la matrice du son voulu et imaginé par Shields qui donne naissance à d'autres splendeurs telles la délavée "Loomer", "When you smile" et la narcotique "To here knows when", un trip à elle seule.
Quand le groupe laisse tomber ses tremolos, cela donne des splendeurs comme "Soon" ou "Sometimes", meilleure musique pour noctambules et décalés horaires qui soient - on pense bien sûr au score de Lost in Translation où la dreamy pop pour insomniaques de My Bloody Valentine trouve sa plus noble expression.
S'ensuivra ensuite un long hiatus de......22 ans. Personne ne savait alors que sur son propre label, My Bloody Valentine et son obsessionnel démiurge non seulement égaleraient la performance de Loveless, gros succès critique et commercial du groupe mais la surpasseraient.
A date, plus rien n'a été enregistré par le groupe de Kevin Shields.
En bref : un disque culte des années shoegaze britanniques et pratiquement l'un des seuls du mouvement à surnager de manière intemporelle. Sous les pavés la plage...