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Par un drôle de concours de circonstances qui a de quoi faire grincer des dents, la fédération britannique de tennis (Lawn Tennis Association) décidait le mois dernier de mettre fin au bannissement des joueuses et joueurs russes et biélorusses à Wimbledon au moment où l'Ukraine commémorait le triste premier anniversaire du massacre de Boutcha perpétré par les troupes russes en mars 2022. De retour récemment à la compétition après avoir mis entre parenthèses sa carrière sportive pour privilégier sa famille, l'ex-numéro trois mondiale Elina Svitolina s'est émue de cette décision en exprimant son désarroi sur les réseaux sociaux. Pour elle, la LTA a fini par craquer. La cause de ce revirement est simple à expliquer. Si la fédération britannique avait pris la décision contraire, elle se serait heurtée de plein fouet aux éventuelles sanctions de la WTA et de l'ATP qui prévoyaient de suspendre tous les tournois britanniques disputés cette année alors que la LTA a déjà été condamnée à verser une amende d'un montant d'un million de dollars à l'ATP pour avoir refusé de faire jouer les russes et biélorusses à Wimbledon en 2022. Pour la vénérable institution crée en 1888, déjà durement touchée par l'annulation du plus prestigieux des Majeurs en 2020 à cause de la pandémie de Covid-19, s'engager dans un nouveau bras de fer avec les deux principaux circuits lui eut sans doute été fatal. D'où cette décision, au final, de faire revenir sur le gazon londonien les pays belligérants qui sont la cible de toutes les critiques depuis le début du conflit.Si l'on est en droit de se réjouir sportivement du retour de la Russie et de la Biélorussie à Wimbledon, on peut aussi se demander si la WTA et l'ATP ne jouent pas à un jeu dangereux qui pourrait avoir pour conséquence des tensions encore plus aiguisées sur les deux circuits professionnels au moment où la Russie vient de prendre la présidence du Conseil de Sécurité de l'ONU. Alors que l'invasion russe se poursuit et que des civils (parmi lesquels des centaines d'enfants) paient le prix fort en périssant sous les obus dans ce conflit meurtrier, les joueuses ukrainiennes de la WTA montent une nouvelle fois au créneau. Lesia Tsurenko et Marta Kostyuk, qui sont les plus actives pour la reconnaissance du mal infligé à leur pays par l'envahisseur russe ont encore pris la parole récemment en dénonçant ouvertement le laxisme de l'association présidée depuis 2015 par Steve Simon et qui fête cette année le cinquantième anniversaire de sa fondation par Billie Jean King. Tsurenko n'hésitait pas à parler de tensions dans les vestiaires entre russes et ukrainiennes tandis que Kostyuk, pour faire savoir son désaccord et sa colère envers les institutions, refusait de serrer la main des joueuses russes et biélorusses qu'elle affrontait sur les courts (ce fut encore le cas à Austin lorsqu'elle s'est imposée contre Varvara Gracheva et plus récemment à Miami contre Anastasia Potapova qui s'était permise une semaine plus tôt de faire son apparition à Indian Wells vêtue d'un survêtement aux couleurs du club de football du Spartak Moscou). L'inquiétude et le mécontentement des ukrainiennes est tout à fait légitime. À bien y regarder, et même si Potapova a été fermement rappelée à l'ordre par les instances après l'incident fâcheux d'Indian Wells, on se rend compte que la WTA adopte une posture plus maladroite qu'autre chose dans cette guerre dévastatrice. Plutôt que de se poser dans un rôle d'interlocuteur et de médiateur, l'institution semble se tenir à distance du conflit en ne s'y opposant que de façon très molle, préférant saluer dans un communiqué officiel la juste décision de la LTA de faire revenir les russes et les biélorusses dans son giron plutôt que de dénoncer avec force un conflit qui pourrit l'ambiance dans les coursives et qui oblige ainsi les ukrainiennes à prendre la parole alors qu'elles auraient justement besoin d'un soutien indéfectible de l'association cinquantenaire. Or, force est de constater, et c'est bien là le problème, que ce soutien n'existe pas. Sans doute Steve Simon est-il trop occupé à l'aspect financier des choses à force de regarder vers la Chine. Cette Chine que la WTA a finalement décidé de faire revenir dans son calendrier des tournois alors que le cas de l'ancienne joueuse Shuai Peng n'est pas encore totalement résolu. Ce même Steve Simon tentait d'expliquer qu'il fallait se résigner à retourner en Chine afin que le tennis chinois ait un avenir au niveau professionnel. Très maladroit et malvenu de sa part étant donné que l'on sait que cette décision est avant tout financière (par besoin de renflouer les caisses d'une WTA qui chancelle) et alors que la Chine est un allié du pays envahisseur.Y-a-t-il encore un espoir ? Beaucoup (et moi le premier) aimeraient le croire malgré les décisions malencontreuses et préjudiciables prises dernièrement par la WTA. Hélas, le mal est fait et la crainte de voir les tensions déjà exacerbées augmenter d'un cran est plus grande que jamais tandis que nous sommes entrées dans une année probablement décisive, à un peu plus d'un an des Jeux Olympiques. Si la WTA veut faire évoluer les choses dans le bon sens, c'est maintenant qu'elle doit bouger en commençant par sortir de son silence coupable.