Isolement(s)

Publié le 21 avril 2023 par Jean-Emmanuel Ducoin

La charge de Pierre Rosanvallon contre Mac Macron II.

Barricade. Attention, moment d’Histoire. Quand les «modérés» prennent soudain la parole et se laissent guider par une forme de «radicalité» – non par effraction intempestive mais par intense réflexion –, il n’est pas inutile de relayer ce qu’ils ont à nous dire par temps de crises. Ci-devant, Pierre Rosanvallon, historien et sociologue, éminent professeur au Collège de France, toujours directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) et membre du très sélect club le Siècle, qui réunit représentants et pontes des milieux dirigeants de notre pays. N’en jetez plus! Ces derniers jours, Pierre Rosanvallon a ainsi décidé de s’exprimer, d’abord dans Libération, puis dans l’émission de télé Quotidien, sur TMC. Du brutal, du sévère et, à la vérité, du réjouissant. Selon lui, «Emmanuel Macron se barricade dans le château fort de sa position statutaire» conférée par l’élection présidentielle. Le spécialiste de la question sociale invite notre prince-président à «rompre» avec cet isolement, «faute de cela», prévient-il, «le temps des révolutions pourrait revenir ou bien ce sera l’accumulation des rancœurs toxiques», qui ouvrirait «la voie au populisme d’extrême droite». Voilà pour le constat de base, annonciateur d’une aggravation de la situation.

Crise. Sur le fond comme sur la forme, sur la réforme des retraites comme le (mal)traitement de la démocratie républicaine ou l’exercice du pouvoir depuis le palais, Pierre Rosanvallon ne prend pas de gants avec Mac Macron II, à tel point que le bloc-noteur signerait volontiers nombre de ses propos. «Le président ne voit pas la crise démocratique, pour lui il n’y en a pas», assure-t-il, avant de déplorer que le chef de l’État ait perdu de vue «l’esprit des lois», essentiel pour garder «l’esprit de la démocratie». Cet «esprit est bafoué!» assène-t-il. Et il enfonce massivement le clou: «Nous sommes en train de traverser, depuis la fin du conflit algérien, la crise démocratique la plus grave que la France ait connue. Ce que nous vivons là, c’est la répétition des gilets jaunes, mais en beaucoup plus grave. Aujourd’hui, il y a ce même sentiment de ne pas être écouté. Nous sommes entrés dans une crise qui peut être gravissime parce que c’est une pente glissante.»

Arrogance. Le grand problème de Mac Macron II? «Il n’a qu’une expérience sociale et politique limitée, étant passé directement de l’ombre à l’Élysée», poursuit Pierre Rosanvallon, ce qui expliquerait son incapacité à trouver des « points d’arrêt». Plus grave encore: «Il lui a manqué la connaissance et l’expérience qui enseignent une chose importante: la modestie. Et lui, il n’en a pas. Il est empreint d’une arrogance nourrie d’ignorance sociale et de méconnaissance de l’histoire des démocraties.» Concernant les retraites, pas de doute. «Il est clair qu’il doit faire demi-tour, reconnaît M. Rosanvallon. Nous vivons une situation de blocage démocratique relativement inédite dans l’histoire de la Ve République. Rarement un projet de réforme gouvernementale aura été aussi mal préparé et envisagé sur un mode aussi technocratique et idéologique. (…) La retraite, c’est le rétroviseur de la vie. Cette dimension existentielle n’est pas prise en compte dans le projet actuel.» Souvenons-nous par ailleurs que Mac Macron II avait déclaré que «la foule qui manifeste n’a pas la légitimité» face «au peuple qui s’exprime à travers ses élus». Réplique cinglante du sociologue: «Si cette formule avait été prononcée par un étudiant en histoire ou en sciences politiques, celui-ci n’aurait probablement pas eu une bonne note. Le professeur lui aurait expliqué qu’il n’a pas compris ce à quoi renvoie le terme de peuple. (…) Le peuple n’existe qu’au pluriel, et nul ne peut s’en prétendre le propriétaire. Il n’est donc pas “la foule”, une masse que l’on présuppose informe.» Jugeant que, depuis 2017, «les contre-pouvoirs démocratiques ont fini par être atrophiés par le fait majoritaire», Pierre Rosanvallon espère l’activation d’une «démocratie plus délibérative». Et il s’interroge, pessimiste: «Encore faut-il que le pouvoir accepte le principe de l’interaction avec la société.» À bon entendeur, salut et merci! À ceux à qui il reste des yeux pour voir, des oreilles pour entendre et un esprit logique pour comprendre. 

[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité 21 avril 2023.]