J’avais déjà eu l’occasion, en octobre dernier, de parler de ce magnifique livre de la poète américaine Anne Sexton (1928-1974), paru aux éditions des Femmes en 2022 dans une traduction de Sabine Huynh.
Dans le cadre de mon Printemps des Artistes d’avril 2023, j’ai trouvé intéressant de lire ce poème à propos de la poète et écrivaine Sylvia Plath car les deux femmes étaient amies et elles avaient toutes les deux fréquenté des ateliers d’écriture communs, lors de leurs épisodes dépressifs.
Elles partageaient certainement, hormis leur vécu psychiatrique et leur génie littéraire, un même intérêt pour la cause féminine et un rejet de la société trop conformiste et trop aliénante de leur époque.
Note sur la Poète
Née en 1928, Anne Sexton, de son vrai nom Anne Gray Harvey, souffre de dépression dès 1954 et fait ensuite plusieurs rechutes. C’est à l’hôpital psychiatrique qu’elle commence à écrire de la poésie, à l’occasion d’ateliers d’écriture. En 1948, elle s’était mariée avec Alfred Muller Sexton, avec qui elle aura deux filles, et dont elle divorcera au début des années 70. Ses recueils poétiques remportent du succès, en particulier « Live or die » (« Tu vis ou tu meurs ») qui reçoit le Prix Pullitzer en 1967. Elle a été l’amie de la poète Sylvia Plath. Elle est la représentante principale de la poésie confessionnaliste et a fait entrer dans le champ poétique des sujets typiquement féminins, qui étaient tabous jusque-là, en littérature et dans la société. Anne Sexton s’est suicidée en octobre 1974, à l’âge de 45 ans.
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La Mort de Sylvia
pour Sylvia Plath
Ô Sylvia, Sylvia,
avec une boîte terne de pierres et de cuillères,
avec deux gamins, deux météores
errant dans la petite salle de jeux,
avec tes dents mordant le drap,
mordant la poutre et la prière muette,
(Sylvia, Sylvia
où es-tu partie
après m’avoir écrit
du Devonshire
sur la culture des patates
et l’élevage des abeilles ?)
en quoi croyais-tu,
comment diable t’es-tu mise là-dedans ?
Voleuse ! –
comment as-tu pu ramper,
y ramper seule
jusqu’à la mort que je désirais tant depuis des lustres,
la mort que nous avions dit avoir surmonté toutes les deux,
celle que nous portions sur nos seins maigres,
celle dont nous parlions si souvent après
avoir bu trois vermouths de trop à Boston,
la mort qui parlait de psys et de cures,
la mort qui parlait comme des épouses complotent,
la mort à laquelle nous trinquions,
les raisons puis les actes discrets ?
(A Boston
la mortelle
course en taxi,
oui encore la mort,
cette course pour rentrer
avec notre mec).
Ô Sylvia, je me souviens du batteur endormi
qui scandait sa vieille histoire sur nos yeux,
combien nous voulions qu’il vienne,
ce sadique, cet efféminé new-yorkais,
faire son travail
nécessaire, une fenêtre dans un mur ou une piaule,
et depuis cette fois-là il attendait
sous notre cœur, notre placard,
et je vois maintenant que nous l’avons rangé
année après année, vieilles suicidées,
et je sais en apprenant ta mort,
quel goût terrible elle a, un goût de sel.
(Et moi,
moi aussi,
et maintenant, Sylvia,
toi encore
avec la mort encore,
cette course pour rentrer
avec notre mec.)
Et je dirai juste,
mes bras tendus vers ce lieu de pierre,
qu’est-ce que ta mort
sinon une vieillerie qui nous appartient,
un grain de beauté tombé
de l’un de tes poèmes ?
(Ô mon amie,
quand la lune est mauvaise,
et que le roi est parti,
et que la reine est à bout,
l’ivrogne se doit de chanter !)
Ô ma toute petite mère,
toi aussi !
Ô ma drôle de duchesse !
Ô ma chose blonde !
17 février 1963
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