Je l’ai attendu longtemps, ce spectacle, puisqu’un souci technique avait entrainé l’annulation de la représentation que je devais voir, juste après Bérénice, et qu’ensuite mon emploi du temps m‘a éloignée des scènes parisiennes.Je voulais absolument voir En attendant Godot de Samuel Beckett dans la mise en scène d'Alain Françon et mon voeu aura été exaucé. Le décor ne me surprend pas : Un sol poussiéreux, une énorme pierre à jardin et une silhouette d’arbre dépouillé, qui se dresse à cour, fragile sur un fond qu’on dirait battu par les vents.Cette énorme pierre me fait penser au mythe de Sisyphe. Vous savez, comme moi, que Godot (dont le nom évoquerait presque la figure divine, God, sachant que même si Beckett écrivait en français il demeurait d'origine irlandaise).La pièce est, à l'instar des meilleurs albums de littérature jeunesse, très connue, mais rien ne nous empêche de savourer les répliques, et leur répétition soit-disant absurde mais pourtant non :Allons-nous-en. On ne peut pas. Pourquoi ? On attend GodotVladimir et Estragon sont arrivés, boitillants, le premier s’arrêtant près de l’arbre, l’autre près de la pierre. De pauvres ères dirait-on. Le premier a des soucis de prostate, le second un problème de chaussure. mais ne dit-on pas qu'à coeur vaillant rien n'est impossible ?Pas de laisser aller dans les petites choses admettra Vladimir (Gilles Privat) en se reboutonnant.Et comme celui-ci est le moteur du duo il va inlassablement suggérer quelque chose. Ainsi, après avoir interrogé son camarade à propos de ses connaissances bibliques il osera proposer : Cette histoire de larrons je te la raconte, ça passera le temps … (Quand je vous disais qu'il y avait quelque chose de religieux dans cette pièce …).Plus tard, quand Estragon se plaindra de la faim il sortira de sous sa veste une carotte et grignotera un navet. Le premier, décidément ronchon rouspètera que Les gens sont des cons (ce qui est sans doute l'opinion de Beckett qui a employé des termes similaires dans Premier amourqui se joue dans le même théâtre).Ce qui est exceptionnel dans le travail d'Alain Françon c'est qu'il fait en sorte que le spectateur entende chaque mot, l'ingère et le comprenne. On a envie de noter la moindre réplique, et bien entendu de relire le texte : Charmante soirée. Inoubliable. Et ça ne fait que commencer. On se croirait au théâtre. Au cirque.A chacun sa petite croix. On trouve toujours quelque chose (hein) pour nous donner l’impression d’exister.Oui, on est des magiciens.Nous sommes au rendez-vous.Nous naissons tous fous, quelques-uns le demeurent.Vouloir, tout est là.Écrite en 1948, 3 ans après Premier amour, après la deuxième guerre mondiale, les camps, Hiroshima, cette pièce dont les premiers mots prononcés sont "rien à faire" et les derniers "allons-y" est l’histoire d’une attente, qui se focalise pour Vladimir et Estragon en un nom : Godot. Ils n’attendent ni Pozzo ni Lucky, qui viendront pourtant. Godot existe-t-il ? Il leur faudra revenir le lendemain, au cas où, revenir le lendemain, pour attendre encore… Mais que pourraient-ils faire d’autre ? Attendre le messie en quelque sorte.Alors, malgré les allusions à l'éventualité d'un suicide, cette pièce n'est peut-être pas si désespérée qu'on le dit parfois puisqu'elle exhorte à continuer, toujours et sans relâche. Le réel est indicible et le coup de force de Beckett est de continuer à le dire jusqu’au bout, prévient Alain Françon, et j'ajouterai jusqu'au bout avec autant de force que de poésie et d'humour aussi.En attendant Godot de Samuel Beckett Mise en scène Alain FrançonAvec Gilles Privat (Vladimir), André Marcon (Estragon), Guillaume Lévêque (Pozzo), Éric Berger (Lucky), Antoine Heuillet (Un garçon)Dramaturgie Nicolas DouteyDécor Jacques GabelLumière Joël HourbeigtCostumes Marie La RoccaCollaboration chorégraphique Caroline MarcadéMaquillage, coiffures Cécile KretschmarDu 3 février au 8 avril 2023Du mardi au samedi à 21h et le dimanche à 17h A La Scala Paris13, boulevard de Strasbourg, 75010 Paris www.lascala-paris.com Tel : 01 40034430