Jean-Claude Grumberg – De Pitchik à Pitchouk: Un conte pour vieux enfants

Par Yvantilleuil

Après « Jacqueline Jacqueline », titre rendant hommage à sa femme Jacqueline, décédée le 4 mai 2019, dans lequel il invitait le lecteur à contempler le vide laissé par celle qui venait de le quitter après presque soixante ans de vie commune, et après l’excellent conte « La plus précieuse des marchandises », qui sera bientôt adapté au cinéma, Jean-Claude Grumberg propose un nouveau conte débordant de poésie, de tendresse et de tristesse.

En invitant le lecteur à suivre les pas de Rosette Rosenfeld, une vieille dame qui croise tout d’abord le Père Noël dans sa cheminée Napoléon III avant de se réveiller dans une maison de retraite en plein COVID, Jean-Claude Grumberg se faufile dans les méandres de la mémoire d’une personne âgée et nous emmène de Pitchik à Pitchouk sans véritable fil rouge. Il nous parle de la cheminée dans laquelle le Père Noël trimballe les rêves d’enfants, mais également des autres cheminées…celles qui transformaient des êtres numérotés en fumée. Cette page sombre de l’Histoire, celle qu’il faudrait pouvoir effacer, mais qu’on ne peut absolument pas oublier, pour éviter qu’elle se répète. Celle qui hante l’œuvre entière de l’auteur et qu’il enveloppe avec tant de délicatesse au cœur d’un conte construit sur l’horreur, chargé de tristesse, parsemé d’humour et porteur d’espoir.

« De Pitchik à Pitchouk » est une histoire qui a 80 ans, celle de vieux enfants, porteurs de la mémoire collective, qui se souviennent, incapables d’oublier. Piochant dans ce puit de souvenirs, empruntant le chemin de la mémoire, certes incertain et plus forcément cohérent, mais indéniablement touchant, bouleversant et surtout essentiel, Jean-Claude Grumberg suit un fil sans savoir où il mène. La voix d’une petite fille, sa nièce, vient d’ailleurs régulièrement le rappeler à l’ordre, au nom de la cohérence, mais finalement, peu importe, laissons le parler, il le fait si bien et aime tellement raconter des histoires, même s’il a du mal à les terminer.

Fils de déporté, chargé de souvenirs et porteur d’une histoire dont il se veut l’héritier, Jean-Claude Grumberg mêle passé et présent, témoigne et transmet, tout en abordant avec suffisamment de légèreté et énormément de respect des sujets douloureux et délicats, tels que la Shoah, la vieillesse, la solitude et le deuil. Après avoir rendu un superbe hommage à sa femme en écrivant « Jacqueline Jacqueline », il n’oublie d’ailleurs pas de saluer son ami Maurice Olender, éditeur décédé le 27 octobre 2022 à Bruxelles, qui lui non plus ne connaîtra pas la fin de cette histoire qu’il faut cependant raconter à tous les lecteurs, de 7 à 77 ans. Et quoi de mieux qu’un conte pour toucher un public aussi large, des plus jeunes enfants…au plus vieux. Ce conte est pour eux…pour vous, pour nous !

Merci Monsieur Grumberg !

De Pitchik à Pitchouk : Un conte pour vieux enfants, Jean-Claude Grumberg, Seuil, 160 p., 14€

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