La filiation d'un Requiem Allemand

Publié le 14 avril 2023 par Philippe Delaide

Le dernier enregistrement de l'ensemble Vox Luminis qui sort aujourd'hui confirme la cohérence et la rigueur du travail que mène Lionel Meunier, en collaboration avec Jérôme Lejeune, créateur du label Ricercar, depuis plusieurs années. 

Il s'agit ici d'explorer, dans le répertoire baroque de l'Allemagne luthérienne, des pièces qui entrent en résonance avec l'oeuvre emblématique que constitue le Requiem Allemand composé par Johannes Brahms et achevé en 1868 (d'où le titre Ein Deutsches Barockrequiem). Ce qui pourrait apparaître comme un gageure, tant on serait amené à opposer l'esthétique du répertoire romantique à celle du baroque, s'avère être un choix subtilement judicieux. La filiation recherchée n'est pas tant dans la facture musicale que dans les textes évoqués.

Comme le souligne justement Jérôme Lejeune dans la notice de l'enregistrement, le terme même de requiem pour évoquer une messe pour les défunts fait référence à la liturgie catholique et non protestante. Alors qu'il était de confession protestante, et spécifiquement luthérienne, Brahms aurait volontairement utilisé le terme de requiem pour inscrire son oeuvre dans la suite des requiems célèbres, ces derniers étant finalement devenus plus des pièces produites en concerts que lors de cérémonies liturgiques.

Le travail réalisé par la direction artistique pour cet enregistrement, est d'avoir recherché des pièces sacrées de compositeurs de la plus belle période du baroque allemand dont les textes évoqués sont les mêmes versets que ceux intégrés par Brahms dans son requiem. Ce dernier avait exploré de nombreuses sources (les Evangiles, le Nouveau Testament, des Psaumes) pour sélectionner les textes faisant référence à la mort. Le programme proposé suit alors l'ordre des textes tel qu'il a été intégré dans le Requiem Allemand de Brahms.

Le point le plus notable dans les compositions sélectionnées est la sérénité et la lumière qui se dégagent des oeuvres enregistrées avec l'empreinte encore perceptible de la forme madrigalesque qui confirme l'influence italienne dans les compositions des maîtres du baroque luthérien allemand.

C'est particulièrement perceptible dès la toute première pièce de l'enregistrement, composée à cinq voix, Selig sind, die da Leid tragen, composée par Johann Hermann Schein, tirée de l'évangile de Matthieu, alors que la deuxième pièce proposée, du même compositeur Wie lieblich sind deine Wohnungen, apparaît déjà plus solennelle et sombre.

Les huit autres compositeurs proposés s'inscrivant tous dans la lignée esthétique d'Heinrich Schütz (cas particulièrement d'Andreas Hammerschmidt), l'enregistrement proposé, en plus de l'exercice remarquable de la symétrie des textes avec ceux choisis par Brahms, révèle sa cohérence et son homogénéité.

Parmi les pièces remarquables, en plus de celles de Schein évoquées précédemment, on notera le Ach, Herr, lehre doch mich de Wolfgang Carl Briegel, dont la forme esthétique semble préfigurer par moment le Membra Jesu Nostri de Dietrich Buxtehude, le Selig sind die Toten de Johann Philipp Förtsch avec le choeur des voix en introduction qui s'impose d'emblée pour laisser les solistes s'exprimer avec une élégance de la ligne polyphonique tout à fait remarquable.

Toutes les subtilités, à la fois du texte et de la ligne musicale sont, comme toujours pour l'ensemble Vox Luminis, transcrits avec justesse et élégance avec d'excellents solistes et un équilibre parfait entre l'ensemble vocal et l'accompagnement instrumental. La qualité de l'enregistrement, comme toujours, est à noter avec le minimum de réverbération et une belle sensation de spacialité, une projection très correcte des voix.

Un enregistrement remarquable de plus dans la discographie de cet ensemble.

Ein Deutsches Barockrequiem - Ensemble Vox Luminis - direction Lionel Meunier - Viola Blache, Victoria Cassano, Camille Hubert, Tessa Roos, Erika Tandiono, Zsuzsi Tóth & Caroline Weynants: sopranos, Alexander Chance & Jan Kullmann: contreténors, Olivier Berten, Philippe Froeliger, Raphael Höhn & Jacob Lawrence: ténors, Lionel Meunier & Sebastian Myrus: basses - Tuomo Suni & Johannes Frisch: violons, Antina Hugosson & Raquel Massadas: violes, Nicholas Milne & Andreas Linos: violes ténors, Sarah van Oudenhove: viole basse, James Munro: violone, Bart Jacobs: orgue - Label Ricercar - Outhere Music.