Paris, bivouac des révolutions, par Robert Tombs

Par Mpbernet

L’ouvrage de Robert Tombs (né en 1949) n’est pas tendre envers les têtes d’affiche de la Commune. Il en délivre néanmoins une analyse documentée du profil sociologique des insurgés (à partir des comptes-rendus d’audience des procès qui furent intentés aux survivants) et des causes du soulèvement du peuple de Paris au lendemain du siège par les Allemands.

Parmi les causes, il souligne le sentiment de dépossession et d’exil des classes populaires rejetées vers la périphérie à la suite des bouleversements opérés par Haussmann, la tradition révolutionnaire de Paris versus le caractère conservateur de la Province, l’explosion longtemps contenue contre le Second Empire, le patriotisme exacerbé, le ressentiment face à une assemblée monarchiste et à un gouvernement de « capitulards ».

Les Parisiens rejettent le système représentatif incarné par l’Assemblée nationale élue en urgence pour négocier l’armistice de janvier 1871. Sous l’influence de Proudhon, Bakounine et Blanqui, la démocratie idéale telle que la conçoivent les communards est une forme de démocratie directe où le peuple entend exercer la souveraineté plutôt que la déléguer, où les représentants ne sont que tolérés par les représentés. De là les revendications de l’extrême gauche d’aujourd’hui de pouvoir révoquer le mandat des députés …

Pourquoi les communards s’enrôlent-ils ? Pour des raisons économiques (les 30 sous par jour de solde de la Garde nationale), à cause de la pression de la communauté, l’influence sociale ou la coercition, la pression du voisinage. Mais la Commune n’était pas communiste, ne contestait pas le droit de propriété, était soucieuse de préserver les relations avec les entreprises – sauf en ce qui concerne les biens d’Eglise et la maison d’Adolphe Thiers.

Les communards (ou du moins ceux qui survécurent) ne sont pas des prolétaires mais surtout des ouvriers qualifiés, du bâtiment ou du travail des métaux, peu sont issus de l’industrie lourde. Les 2/3 étaient illettrés ou à demi-illettrés, 2% avaient reçu une éducation secondaire. Les femmes ne jouèrent pas le rôle que la légende leur attribua par la suite.

Débattant sans cesse, la Commune ne disposait cependant pas de marge de manœuvre, coincée entre les versaillais et les Allemands, naviguant entre les conséquences de la guerre et les pressions de la guerre civile comme en attestent ses premières décisions économiques : les arriérés de loyers, les factures et les ventes des objets déposés au Mont-de-Piété. Sept semaines, c’est peu de temps. Un effort spécial est fourni pour l’éducation – libre, obligatoire et laïque – clé du progrès politique et social.

Paris fut irrémédiablement perdu dans la nuit du 21 au 22 mai quand les premières forces versaillaises déferlèrent sur les remparts abandonnés du sud-ouest. Nombre d’unités fédérées plutôt tièdes décidèrent que la partie était terminée, se rendirent ou rentrèrent chez elles.

La répression fut massive. La légende pouvait commencer, récupérée par Karl Marx au premier chef, puis Lénine et en France le parti communiste.

Laurent Fabius, alors président de l’Assemblé nationale, cite en 1998 : « 1870-71, à côté de 1936, 1848, 1830 et 1789, comme faisant partie du compte à rebours conduisant à l’émancipation, de la matrice des valeurs qui nous unissent. » L’utopie a encore de beaux jours devant elle.

En illustration « Le triomphe de l’ordre » d’Ernest Pichot (1875).

Paris, bivouac des révolutions, la Commune de 1871, par Robert Toms (2014 - 2016), traduit de l’anglais par José Chatroussat. Editions Libertalia, 424 p., 20€

N.B. à lire, un excellent thriller se déroulant pendant cette période "Dans l'ombre du brasier" d'Hervé Le Corre et, naturellement, la  fresque inoubliable de Jacques Tardi "Le cri du peuple".