Lyriques

Par Vertuchou

Lorsque nous entrerons
Dans le temple désert
À nous deux nous serons
Le centre de ce lieu.

Et tout ce qui est là,

Qui nous regardera.

Voudra venir en aide

Aux pauvres que nous sommes.

Tu m'es apparue
Au fond de l'allée

Et ce fut comme si

L'allée

Devant toi s'inventait.

Je ne t'ai pas demandé
Où nous allions.

Je savais que tu trouverais
Ce pourquoi nous allons.

Je ne t'ai pas vue
Devenir jacinthe.

J'ai vu la jacinthe
Vouloir t'égaler.

Je n'ai pas cherché ton visage

Au-delà des nuages

Tant ils m'imposaient ton regard,

Ce regard

Qu'ensemble ils te volaient.

Certes le ciel n'est pas
Notre propriété,

Mais il sait qu'il a

Des devoirs envers nous.

Il lui arrive même

De se traiter de voyeur.

Lorsque la scabieuse
T'a parlé de moi

Tu lui as répondu

En me donnant

Un baiser de papillon.

Tu étais près de moi
Qui ne t'avais pas vue.

Mais tout l'entourage
Vivait ta présence.

Nous ne cessons pas
De nous inventer

Dans la complicité,
Comme la terre et le soleil.

Si tu n'étais pas

Ce que tu es pour moi,

Tout autres seraient

Mes rapports avec la rose.

Que signifieraient les mots
Comme arbre, pierre, palombe
Si tu n'étais pas toi?

Ne me demande pas
D'où me vient le pouvoir
Que j'ai de te connaître,

Après tout.

Nous n'avons peut-être

Jamais vécu séparés.

Sans toi je n'irais plus, je crois,
Sans frayeur dans les bois

Peuplés de tant de choses
Et surtout de silence,

Un silence royal

Qui parfois vous exclut.

Avec toi je me sens
Frère de la nature.

Par toi

Me vient cette force.

Près de toi je sais être
Comme une source
Ignorant son destin,

Elle qui chante la béatitude.

Parfois

Je me sens devant toi

Comme doit se sentir une

Muet, conforté, heureux.

Quand tu n'es pas là,
En moi ton image

A la force du tilleul
Dans sa floraison,

Celle du soleil

Sur un champ de neige.

.Nous avons fait un pacte
Avec le siècle

Et pour caution
Nous avons pris

La fontaine au bord
De la prairie nue.

Pas un oiseau n'est venu
Nous tendre un brin de paille,

Mais je sais
Que les fauvettes
Sont avec nous.

Dans l'œil du cheval
J'ai lu un fond de bonté,

Celui dans lequel
Nous voulons vivre.

Le rossignol
Parle de nous
A l'horizon.

Il nous a devinés.

Ne demande pas
A la tourterelle

De chanter pour nous
Cet après-midi,

Nous sommes ailleurs.

Comme d'habitude
Le moineau est venu

Nous apporter

Son allégresse.

Nous nous ouvrons à tout,
Dans le même instant.
Dans le même espace.

Nous devenons

Le logarithme de l'espace.

Ce n'est pas l'azur

Qui se prolonge en nous.

C'est plutôt nous
Qui dans l'azur
Nous projetons.

Quand nous sommes

Dans un même lieu,

Pas éloignés l'un de l'autre,

Quand entre nous l'espace
Est plein de toi, de nous,

Mérite-t-il encore
Le nom d'espace?

Nous n'avons pas
Interrogé le peuplier.

C'est le peuplier

Qui s'est penché vers nous

Pour mieux nous entendre.

Le mur

Qui n'est pas entre nous

N'est pas non plus
Autour de nous.

Nous ne nous donnons pas
Pour propriétaires.

Dans la terre
Sous nos pieds

Nous sentons nos racines
Se rencontrer,
S'accompagner, se plaire.

Du rivage

Je t'ai vue nager.

Au bout «l'un moment
C'était moi cette eau

Que tu traversais,
Que tu caressais.

Dans la pinède
Au bord du lac

Toute la lumière
Paraît venir de toi.

Elle joue avec l'eau,
Elle réjouit les branches,

Elle me donne
D'être ici

En confiance avec
Le silence du jour.

Ma femme, je te regarde
Comme si tu montais vers moi
Du fond des âges

Et que je te reconnaissais.

Tu sais

Ce qu'a toujours été

Pour moi la pâquerette.

Laisse-moi te dire que depuis
Que nous l'aimons ensemble

Elle est encore plus
L'œil de la terre.

N'oublions pas
La coccinelle.

Elle a toujours été
Notre complice.

Elle nous rappelle

Ces instants

Qu'ensemble nous passons
Hors du temps

Dans un
Ueu sans assise
Qu'on ne veut plus quitter.

Je ne sais pas pourquoi
Lorsque tu es absente
Je vois de l'arbre.

J ai comme un besoin

De toucher les fortes branches.

Les plus basses

Et de regarder le ciel
A travers les feuilles,

A travers ton image

Qui flotte dans tout l'arbre.

Si tu n'étais pas là

Le monde ne serait plus

Que le vêtement du néant.

Grâce à toi, le monde

Nous enveloppe de présence.

Nous l'habitons.

Je suis dans mon centre,
Tu es dans le tien.

C'est la rencontre de nos centres,
La permanence de cette rencontre —
Pour tout éclairer —

C'est leur coïncidence
Qui est notre amour.

Voici qu'autour de nous
Tous et tout se répondent,

Se rapprochent de nous,

Ces pauvres que nous sommes,

Pour proclamer la gloire,
La nôtre avec la leur.

Je t'ai amenée

Au bord de l'étang.

Je savais bien
Que toi près de moi

L'étang ne serait pas

Cette eau qui fait

Semblant de dormir

Et crache

Son mystère.

Je ne m'aime pas.
Mais à me voir t'aimer

Je me sens presque
Amant de moi-même.

Je ne te pardonne pas

De ne pas t'aimer plus que je ne peux.

C'est à toi qu'il appartient
De me donner cette force

Qui me ferait

Me fondre en quelque chose

Qui serait nous

Plus fort que moi plus toi.

J'ai rêvé

Que nous étions tous les deux

La branche et le rameau.

Lequel de nous deux
Etait le rameau ?

Quand la joie nous entraîne
Dans ses labyrinthes.

Nous oublions
Qui tu es,
Qui je suis.

Si je devenais nuage
Je trouverais un nuage
Qui serait toi.

Le tournesol s'est trompé :
Il s'est tourné vers moi.

Je vais lui demander
De se tourner vers toi.

Eugène Guillevic

Partager cet article Repost0 &version; Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous : Vous aimerez aussi : Sonnet Je viendrai frôler tes murs Nous marchons côte à côte c’est si bon

Poètes D'aujourd'hui

« Article précédent