La Grande Dépression, la crise économique des années 1930, a frappé fort au Québec. Des millions de gens ont tout perdu. Affamés et parfois sans domicile fixe, une des plaintes qu'ils avaient s'adressait à leur fournisseur d'énergie électrique.
La production d'électricité était divisée parmi 13 entreprises privées, ainsi que des douzaines d'autres municipalités, coopératives et " auto générateurs " de grandes entreprises comme Alcan qui généraient leur propre électricité pour leurs usines depuis des rivières toutes proches. Chacune de ces entreprises avait le monopole dans la région où elle était établie, ce qui veut dire qu'elle n'avait aucune compétition.
Les coupures de courant étaient fréquentes, et la qualité des services, pitoyable. De nombreuses personnes n'avaient pas du tout d'électricité chez elles, en particulier dans les zones rurales. Pour les consommateurs, c'était le chaos : un consommateur en Gaspésie payait 4,5 à 6 fois plus pour son électricité qu'un Montréalais, s'il était assez fortuné pour être branché sur un réseau, selon Jean-François Blain, analyste en réglementation indépendant.
Qui était content de la situation? Les compagnies d'électricité, qui jouissaient d'énormes profits à cause des tarifs élevés qu'elles demandaient aux consommateurs. Par exemple, le Montreal Light, Heat and Power Company profitait d'un monopole sur toute l'électricité et le gaz naturel fourni à Montréal, et ne permettait pas au gouvernement provincial de consulter ses livres de compte.
Monopole linguistiqueCes compagnies d'électricité étaient presque entièrement possédées par des familles anglophones et dirigées par des anglophones. À Montréal, il est toujours possible de voir un ou deux bâtiments avec les mots Montreal Light Heat & Power ciselés dans leurs murs extérieurs.
En 1934, le gouvernement provincial a créé la commission Lapointe pour mener une enquête sur l'état pitoyable du réseau électrique québécois. La commission a condamné les compagnies monopolistes et a recommandé la nationalisation du réseau. Le gouvernement achèterait donc de force les compagnies et les dirigerait en tant que service public.
Mais il faudra une décennie avant que le gouvernement d'Adélard Godbout ne prenne possession par la force du Montreal Light Heat & Power. Il l'a fait en 1944, malgré une campagne de publicité vicieuse de la part de la compagnie. C'est ainsi qu'Hydro-Québec est né.
La province ajoutera le reste du réseau à Hydro-Québec en 1963. René Lévesque, alors ministre des Ressources naturelles dans le gouvernement de Jean Lesage, avait décrété que la situation quant à l'électricité était un " gâchis impossible et coûteux ", avec des parties de la province non électrifiées.
Il y avait comme enjeu le service épouvantable dans certaines régions; le peu d'emplois en gestion disponibles pour les francophones dans ces compagnies; et les responsabilités chevauchantes et complexes de toutes les compagnies, municipalités, etc., incluant des compagnies comme Alcan qui fournissaient leur propre électricité. Lévesque a convaincu le reste du cabinet de Lesage de nationaliser tout le réseau, lors d'une réunion à huis clos au lac à l'Épaule, dans les Laurentides. Le gouvernement Lesage a mené une campagne électorale sur la nationalisation du réseau électrique québécois, incluant tous les fournisseurs d'électricité et de gaz naturel, et a remporté une écrasante victoire en 1962. Ensuite, le gouvernement a inclus le salmigondis de fournisseurs d'énergie dans Hydro-Québec, en faisant l'acquisition de 80 compagnies, distributeurs privés, coopératives électriques et systèmes municipaux.
Sombres penséesDans la communauté anglophone, quelques membres croyaient que les Québécois d'expression française manquaient d'habileté technique pour gérer un aussi grand service d'électricité, et qu'il tomberait en ruine tôt ou tard. De plus, plusieurs membres de l'élite financière anglophone de la rue St. James (la rue Saint-Jacques aujourd'hui) croyaient que les francophones qui iraient à Wall Street afin d'emprunter de l'argent pour le développement de la baie James seraient rejetés par les banquiers américains.
Enfin, Jacques Parizeau, un autre futur premier ministre et un des économistes qui travaillaient avec Hydro-Québec dans les années 1960, a constaté qu'au contraire, les banquiers de Wall Street ont ouvert leurs carnets de chèques pour financer le projet. L'argent n'a pas de langue.
Quand ces compagnies furent nationalisées, ce ne fut pas toujours une partie de plaisir. Dans les bureaux de Shawinigan Water and Power, la plus grande compagnie acquise par la province en 1963, les bureaux ont été vandalisés, avec des graffitis anti-français peints sur les murs.
Hydro-Québec a érigé une panoplie impressionnante d'installations depuis sa création. Le projet de la Baie-James, qui a pris 25 ans à être complété, est un des systèmes hydroélectriques les plus grands au monde et s'étend sur un territoire équivalent en superficie à l'État de New York. Les neuf centrales ont coûté 20 milliards de dollars à construire, et produisent ensemble une puissance équivalente à celle de toutes les centrales électriques d'un pays comme la Belgique. L'électricité que les consommateurs québécois n'utilisent pas est vendue aux États-Unis et à l'Ontario.
Hydro-Québec, est-il une machine à faire de l'argent pour l'État québécois sur le dos des plus pauvres?Selon Hydro-Québec, les consommateurs québécois payent les tarifs les plus bas de toute l'Amérique du Nord pour notre électricité : 7,39 sous par kilowattheure (kWh). Le coût moyen de production est de 1,93 sous par kWh qui est aussi de loin le coût le plus bas en Amérique du Nord. Il faut rajouter le coût de distribution.
Mais est-ce trop quand même ? Oui, selon Jean-François Blain, analyste en règlementation indépendant.
Jusqu'à la fin des années 1990, le prix d'électricité a été contrôlé par le gouvernement du Québec. Mais une vague de déréglementation a laissé Hydro facturer ce qu'il voulait. Résultat : les bénéfices de Hydro-Québec ont passé de 500 millions à 3 milliards de dollars en 2010. Hydro-Québec a déclaré un bénéfice record de 3,546 milliards en 2021 dont une large part est versé au gouvernement.
" Pourquoi le gouvernement ne fixe plus le prix de l'électricité, " demande Blain, ce qui permettrait de facturer les consommateurs québécois, leur " marché captif ", moins que le tarif actuel de 7,39 cents.
Les coûts de production de l'électricité sont aussi bas, " parce que les Québécois ont décidé d'investir collectivement dans la nationalisation depuis les années 1960 ".
" Quand un gouvernement choisit de chercher leur revenu par les tarifications de services publiques, " explique Blain, " les travailleurs payent avec leur revenu net, après avoir payé leurs impôts. Une entreprise va soustraire leurs dépenses d'électricité comme toutes autres dépenses de leur bénéfice brut en fin d'année pour déterminer leur bénéfice net. Une plus grande proportion est payée par les citoyens alors que les entreprises contribuent moins. C'est régressif socialement comme mode de répartition. "
Blain observe que les ménages qui habitent dans les logements les moins performants paient le plus : " Les citoyens à faible revenu occupent en général soit des logements où ils ne sont pas propriétaires, soit de vieux bâtiments, et ils chauffent avec des équipements moins performants. Ils ont besoin de plus d'énergie pour un même nombre de pieds carrés occupés que les citoyens à revenu supérieur qui ont la capacité d'acquérir ou louer des logements dans des bâtiments plus récemment construits, plus performants avec moins de pertes. "