feuillages, l’art et les puissances du végétal, de Clélia Nau (éd. Hazan), avril 2023

Publié en 2021, cet ouvrage introduit par des prolégomènes et conclus par un épilogue contient quatre chapitres et se présente en coffret. De nombreuses images accompagnent un texte riche et très documenté. Comme je l’ai fait les mois précédents pour La lecture des pierres de Roger Caillois, je vais avancer dans ma lecture et j’en laisserai dans ce blog une fois par mois une trace.

Proust, pour dire l’étrange attrait qu’exerce sur lui la grâce toute païenne du corps d’Albertine assoupie, pour rendre sensible la mystérieuse sève qui circule sous sa chair (…) c’est à un bruissement de feuilles qu’il confère le pouvoir d’exprimer la vie secrète — léthargique — de ce corps endormi : une vie qui sous cette forme végétale s’amplifie, s’intensifie. « Par instants, elle était parcourue d’une agitation légère et inexplicable, comme les feuillages qu’une brise inattendue convulse pendant quelques instants. » (…) Le corps d’Albertine — moderne nymphe, nouvelle Daphné — est à la fois érotisé par la traîne auratique de ce feuillage qui lui sert d’« ornement de direction flottant » — reste, relique vivante, fragment efficace et précieux de la poursuite amoureuse — et soustrait au désir du narrateur, aussi sûrement que la nymphe au désir d’Apollon, par un même et irréversible procès de végétalisation. Ce beau corps livré à la pesanteur reste pour ce dernier une énigme, un mystère vivant.

(image : Apollon et Daphné, de Véronèse)