Critique de Femmes en colère, de Mathieu Menegaux et Pierre-Alain Leleu, vu le 28 février 2023 au Théâtre de la Pépinière
Avec Lisa Martino, Gilles Kneusé, Hugo Lebreton, Nathalie Boutefeu, Fabrice De La Villehervé, Sophie Artur, Clément Koch, Magali Lange, Aude Thirion et Béatrice Michel, mis en scène par Stéphane Hillel
J’avais beaucoup de raisons de voir Femmes en colère. D’abord la curiosité devant ce titre qui m’intriguait beaucoup, évoquant chez moi (comme chez tout le monde, non ?) le célèbre film avec Henry Fonda, qui a d’ailleurs lui aussi été adapté au théâtre et connaît un succès public depuis plusieurs années maintenant. J’étais impressionnée par le nombre d’artistes sur scène : c’est rare aujourd’hui de voir onze personnes partager un plateau et je voulais non seulement le voir mais l’encourager. Et puis j’adore La Pépinière, sa programmation, son exigence, j’adore Lisa Martino et j’ai confiance en Stephane Hillel. Suffisamment de raisons pour trouver un créneau dans l’agenda et y aller.
Il y a plusieurs pièces qui se jouent en une, en réalité. Il y a cette femme jugée pour le crime qu’elle a commis, et dont les différents tenants et aboutissants nous seront livrés au fil de la pièce. Il y a la cour d’assise composé de jurés populaires, qu’on va découvrir et apprendre à connaître au fil des échanges et des débats qui devront aboutir au jugement. Et il y a, en filigrane, le crime pour lequel on est là. On tourne autour un peu au début, il est présent comme un personnage à part entière et il finit par s’imposer tout à fait dans ce qui est peut-être le point culminant de ce spectacle.
C’est un spectacle qui fonctionne bien. L’alternance entre les deux points de vue instaure un vrai rythme – au-delà même de la fréquence qu’il implique, intrinsèque à ce changement de narrateur, les sensibilités sont si différentes qu’on a une véritable impression de renouveau. Lisa Martino est très ancrée dans le réel, très terre-à-terre, quand la cour est le monde du conditionnel qui laisse toutes les possibilités ouvertes. C’est à la fois légèrement déroutant et complètement prenant de sauter ainsi d’un monde à l’autre.
Ce qui est peut-être un peu dommage, c’est de n’avoir pas assez utilisé cette divergence de points de vue. On ne change pas de camp (en tout cas, moi) durant tout le spectacle. Les personnages sont peut-être un peu trop caricaturaux et manquent de complexité. On prend parti très rapidement, et on a presque l’impression d’être du côté du bien quand les méchants sont du côté du mal. Un peu plus de suspens aurait pu être bienvenu !
Mais si on ne change pas de camp, c’est peut-être aussi grâce à la performance de Lisa Martino. Elle est saisissante. Je n’ai pas d’autre mot. Légèrement cynique, légèrement pinçante, elle est incroyablement droite. On sent le poids qu’elle porte, on sent la force qui appuie sur tout son corps, on la sent lutter pour rester debout. Toutes ces forces en présence qui s’opposent, elle les rend visible. Elle les rend palpable. Elle fait passer tout ce qui n’est pas dit, ce qui s’est passé avant, la femme qu’elle est profondément.
J’ai mis du temps à écrire ce papier parce que quelque chose m’a profondément gênée dans ce spectacle et que je ne savais pas comment l’aborder. Je vais donc l’aborder ici. L’explication va comprendre des spoilers donc pour ceux qui voudraient éviter de connaître la fin de l’histoire, je conseille de s’arrêter ici. Globalement, vous l’aurez compris, j’ai passé un bon moment. Mais je ne peux pas juste dire ça. Dans l’une des dernières scènes, une femme juré raconte le viol qu’elle a subie étant plus jeune et dont elle n’a jamais parlé à personne. Elle le raconte alors que le jury se trouve face à un mur et ne parvient pas à prendre de décision sur le jugement à donner. On n’a pas l’ensemble des débats, mais on peut supposer que son intervention aura influencé le jury vers une peine plus courte. Dans la dernière scène, on comprend que cette femme a menti, que ce viol n’a pas existé. On pourrait y voir la volonté de l’auteur de prendre du recul par rapport à l’ensemble du jugement. On pourrait y voir une note d’humour pour conclure le spectacle sur quelque chose de plus léger. J’y vois plutôt un acte anti-féministe assez maladroit et très compliqué à accepter. Je me demande si ce retournement de situation existe aussi dans le roman. Et je me demande comment l’ont ressenti les autres spectateurs. Moi, il m’a un peu coupée net dans mon élan. Je l’ai eu en tête tout le reste de la soirée. Et même aujourd’hui, quelque chose continue de me gêner. Dommage.
Une chouette proposition, gâchée par une fin incompréhensible.