Outre ces aspects politiques, il reste des enjeux économiques considérables entre les deux pays. Même si la croissance chinoise s’établit à 3% en 2022, bien en dessous de l’objectif de 5,5% fixé par le gouvernement, la Chine reste un pays attractif en termes d’investissements. Parmi les dix premières entreprises françaises à investir dans ce pays, Accor s’est associé au groupe Alibaba et ses 700 millions de consommateurs. Le partage de données entre les deux groupes permet d’accéder à des marchés lucratifs. Alstom est également présent dans le développement de systèmes de métro et celui du monorail en Chine. Airbus, bien sûr présent depuis 1994. Pierre Fabre et L’Oréal dans le domaine des cosmétiques, bientôt talonné par Lancôme. Saint Gobain n’est pas en reste et produit dans le domaine des industries de la santé en Chine depuis 1985. S’ajoute le groupe Safran, incontournable dans le domaine crucial de l’aéronautique. Sanofi représente une part importante dans le domaine de l’industrie pharmaceutique sans oublier Valéo dans le domaine des équipements électriques ; multinationale très présente à Wuhan, Shanghai et Nanjing. Decathlon et Pernod Ricard rappellent aussi l’importance accordée en Chine aux industries du sport mais aussi à la consommation des alcools et spiritueux. On aura beau dire que le marché chinois est moins important pour la France qu’il ne l’est pour les industries allemandes, la Chine demeure un acteur incontournable. Au total, 2100 entreprises hexagonales ont investi en Chine. Leur répartition sectorielle est la suivante : 30 % dans les services, autant dans le secteur industriel ; le commerce et la distribution représentant 15 % du secteur. Paradoxalement, l’agroalimentaire ou la santé ne représentent respectivement que 5 et 4 % du secteur même si le secteur de la santé semble être en pleine croissance.
Et il n’est pas le seul. Ainsi, courant juin 2022, des investisseurs français emblématiques ont annoncé accroître leurs investissements. Parmi eux, Airbus qui a signé pour le développement d’un centre de R&D dans la ville de Suzhou. Air Liquide entend davantage investir dans le domaine de l’agro-alimentaire, de l’hydrogène et de l’électronique ; investissements qui seront à terme également bénéfiques pour ses sous-traitants à la fois français et chinois. En d’autres mots, la présence française représente plus de 500000 emplois. Et les deux pays ont des projets de contrats pour l’avenir que l’on ne saurait négliger. Ainsi, le groupe pharmaceutique chinois Tasly Mauna Kea a établi avec la medtech française un partenariat pour commercialiser un endoscope révolutionnaire. La joint-venture permettra à Tasly de commercialiser Cellvizio en Chine, un endoscope permettant de visualiser in vivo les tissus à l’échelle de la cellule et de déceler des anomalies, et à la medtech française de continuer ses recherches grâce aux 6 millions d’euros accordés par Tasly. D’autres exemples dans les investissements et les implantations croisés sont à prendre en compte. Ainsi, le constructeur automobile chinois Byd, qui a dépassé Tesla pour devenir le premier vendeur de véhicule électrique en 2022, va faire son apparition sur le marché français en s’appuyant sur des points de vente physique. Il a déjà signé un contrat avec le groupe de distribution français Bymycar. La concession du groupe français, située rue de Rivoli à Paris, proposent désormais à la vente des modèles Byd. Ce n’est qu’un début pour la marque chinoise, qui souhaite à l’avenir étendre son réseau de distribution. Autre exemple, celui de la start-up chinoise Leapmotor fondée en Chine en 2015 propose depuis février 2023 pour la première fois en France son modèle Leapmotor T03, une voiture citadine électrique. Avec ses dimensions compactes, son autonomie importante et son design tout en courbe, le véhicule dispose de réels atouts pour séduire la clientèle européenne. Eve France, le représentant officiel de la marque basé à Toulouse, a prévu de lancer une centaine de points de vente et de Sav avant la fin de l’année 2023. En décembre 2022, enfin, a eu lieu la première conférence de coopération entre la ville chinoise de Taicang (province du Jiangsu) et Toulouse, siège d’Airbus, dans le domaine de l’industrie aérospatiale. Les représentants de Taicang ont précisé comment ils comptaient faire de leur ville une base industrielle mondiale de l’aéronautique et de l’astronautique. Ce type d’évènement pourrait se reproduire à l’avenir et permettrait, comme l’espère la partie chinoise, aux équipes françaises de s’intégrer au développement de l’industrie aérospatiale de la Chine.
Ces derniers exemples témoignent d’une restructuration importante de la Chine dans son réaménagement territorial et industriel. La France a, dans ces domaines stratégiques, des atouts importants. Ces différentes évocations nous rappellent aussi la domination écrasante de la Chine sur les batteries électriques : en 2022, la Chine détient 77% des capacités de production mondiales de batterie, avec 6 des 10 plus grands fabricants au monde. L’avantage bien établi de la Chine devrait se poursuivre jusqu’en 2027, avec 69% de la capacité mondiale de fabrication de batteries. Même si d’après Bloomberg, les États-Unis et l’Europe devront investir respectivement 87 milliards de dollars et 102 milliards de dollars pour répondre à la demande intérieure de batteries avec des chaînes d’approvisionnement entièrement locales d’ici 2030, l’interdépendance entre les économies se poursuit. En réalité, bien loin de disparaître, la mondialisation prend une nouvelle forme, façonnée par la Chine (via son Initiative de développement mondial (IDM) et par le développement de l’économie numérique et des monnaies numériques) : une nouvelle donne dont Emmanuel Macron devra tenir compte. Une « complexité » comme le Chef de l’Etat français aime à le répéter qui voit un découplage de plus en plus saisissant entre les rivalités stratégiques qui opposent la Chine et les Etats-Unis d’une part et une intensification de leurs échanges économiques de l’autre, avec une diversification des centres mondiaux de production qui, pour l’Occident, tendent à privilégier l’Inde et le Vietnam comme des sites alternatifs attrayants afin de diversifier leurs chaînes d’approvisionnement depuis la Chine. C’est en tout cas l’Asie qui reste le pôle de dynamique et de croissance majeure tandis que l’Union Européenne se voit fragiliser par la guerre en Ukraine.
C’est aussi ce dilemme que devrai tenter de résoudre Emmanuel Macron dans cette recherche constante d’un équilibre entre coercition et attractivité. Coercition car le soutien de la Chine à la Russie radicaliserait les options stratégiques européennes à l’encontre de Pékin tout en souhaitant conserver une coopération avec la Chine qui demeure l’un des pays les plus attractifs et novateurs dans le domaine de la haute technologie. Selon China Forbes, 70 % des nouvelles licornes chinoises proviennent de quatre domaines : technologies propres, énergies renouvelables, les soins de santé et la logistique intelligente ainsi que les semi-conducteurs. Près de la moitié des investissements records dans les énergies renouvelables en 2022 ont été réalisés par la Chine, suivie de très loin par les États-Unis, l’Allemagne, puis la France. Le montant des sommes consacrées aux renouvelables a pour la première fois dépassé 1000 milliards d’euros dans le monde, en hausse de 31 % en un an, selon un rapport de Bloomberg NEF. Soit à peu près autant que les investissements dans les énergies fossiles - une accélération impulsée par la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. Quoi qu’en disent les pronostics les plus alarmistes concernant l’état de santé de l’économie chinoise, celle-ci a de très nombreux atouts et pourra à terme démentir les thèses les plus pessimistes. Ainsi, la Chine dépasserait les Etats-Unis dans la recherche sur l’IA, rapporte Nikkei Asia. Tencent Holdings, Alibaba Group Holding et Huawei Technologies figurent parmi les 10 premières entreprises produisant des recherches sur l’IA. L’IA s’impose aussi comme un véritable enjeu de souveraineté politique et géopolitique à travers une guerre des normes et de brevets entre les puissances. Reste pour la France un maillage qui assure sa présence sur le plan culturel et éducatif en Chine à ne pas négliger non plus. Sans oublier non plus le fait qu’il existe plus de 28000 étudiants chinois en France, soit 5 % du total mondial. Dans le sillage historique de l’ancien premier ministre de Mao, Zhou Enlai, et de son successeur des années 1980 Deng Xiaoping, qui ont fait leurs études en France, les échanges universitaires entre les deux pays ne cessent de se renforcer. A l’heure actuelle, plus de 120 jumelages ont été créés entre des établissements d’enseignement supérieur chinois et français et plus de 20 jumelages entre les lycées des deux pays. Preuve s’il en est que la relation franco-chinoise est précieuse pour l’avenir.
Emmanuel Lincot
spécialiste de la diplomatie culturelle de la Chine et la question du ‘soft power’ du régime, professeur à l'Institut Catholique de Paris, chercheur associé à l’IRIS
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