Le 18 mars 2023 à l'hôtel Alpha Palmiers, à Lausanne, l'Institut Libéral a organisé sa Semaine libérale romande 2023 sur le thème:
Formation et liberté, les défis contemporains.
Olivier Massin, professeur ordinaire de philosophie générale et directeur de l'Institut de philosophie de l'Université de Neuchâtel inaugure la journée par une conférence sur le thème:
Les libéraux et l'éducation, une analyse philosophique.
Qu'est-ce que le libéralisme? Est-ce l'amour de la liberté ou la haine de la contrainte?
La solution libérale est de dire que la liberté est l'absence de contrainte, ce que Isaiah Berlin, dans Deux concepts de la liberté, appelle la liberté négative et qu'il oppose à la liberté positive selon laquelle il est possible de contraindre quelqu'un pour qu'il fasse les bons choix.
L'éducation est-elle contrainte sur ceux qu'on éduque? sur ceux qui éduquent? sur ceux qui paient ceux qu'on éduque?
Il y a trois possibilités:
- Éduquer implique d'être paternaliste.
- Il ne faut pas être paternaliste.
- Il ne faut pas éduquer.
Qu'est-ce que le paternalisme? Faire le bien contre le gré. Parfois c'est bien quand celui-ci est supérieur au mal causé, sauf si on se trompe sur les intérêts de la personne ou que celle-ci y parvient par elle-même.
Il ne faut de toute façon pas être paternaliste avec des adultes non consentants, c'est-à-dire qu'il ne faut pas les éduquer. Pour ce qui concerne les enfants, ils ont droit à une éducation, mais cette obligation incombe aux parents.
Toutefois certains parents ne sont pas en mesure d'éduquer leurs enfants; certaines personnes doivent éduquer des enfants qui ne sont pas les leurs. Que fait-on dans ces cas-là? Il n'y a pas de solution simple.
La réponse d'Olivier Massin, qui n'est pas une réponse de principe mais une réponse empirique, est de contraindre les individus à payer le coût de l'éducation avec le risque d'abus de pouvoir quand on lève des impôts, mais, selon lui, c'est un risque raisonnable, supportable en comparaison des aléas de la charité...
Il accepte donc qu'il soit fait entorse à la liberté négative et que l'État fasse en sorte que chaque enfant soit éduqué, à condition de ne pas s'en charger, dans le sens de se charger du contenu: le contenu relève du choix des parents (ou dérive du choix initial des étudiants). Les chèques-éducation de Milton Friedman le permettent.
Olivier Massin admet enfin qu'il puisse y avoir des contraintes sur l'enseignement, c'est-à-dire sur son contenu: il faut transmettre les connaissances de base (lire, écrire, compter) et les connaissances localement pertinentes (langue, histoire, religions), admettre des contraintes axiologiques (valeurs partagées, institutions). Bref il faut mettre de l'eau conservatrice dans le vin libéral.
Olivier Meuwly, historien, docteur en droit et es lettres de l'Université de Lausanne, auteur de nombreux ouvrages sur l'histoire vaudoise et suisse, donne alors une conférence sur le thème:
Le libéralisme et la formation, un regard historique.
Le libéralisme est héritier des Lumières et se caractérise par l'adoption d'une Constitution, la séparation des pouvoirs, la division des tâches, le dialogue entre les fragments, le progrès (le perfectionnement individuel et continu):
- L'État est reconnu par les libéraux, mais il doit être limité à l'infrastructure.
- La pensée sociale est fondée sur la charité et la philanthropie.
- L'école, d'obédience privée, se donne pour but l'autonomie. Elle est la réponse à tout sans conscience des problèmes sociaux qui émergent.
- La religion est refoulée dans la sphère privée, mais reste le support moral dans la construction d'une société libre.
Dès le XIXe siècle, surtout à partir de 1848, les radicaux dominent en Suisse. Avec eux:
- l'État est plus interventionniste;
- l'anticléricalisme est de mise;
- l'individu est libre, pas seulement pour lui-même, mais pour le pays, au contraire de l'universalisme des libéraux;
- le pragmatisme est positif;
- l'école est obligatoire, gratuite et laïque, avec un renforcement de l'éducation sportive: un esprit sain dans un corps de soldat.
Les radicaux s'allient aux libéraux à la fin du XIXe, pour s'en éloigner au XXe, avant de s'en rapprocher au début du XXIe siècle. On doit à l'influence des libéraux que le libéralisme économique n'ait pas été abandonné par eux.
Si les libéraux suisses veulent compter à l'avenir, ils doivent revenir dans le débat culturel et se souvenir pour donner un sens au mot libéralisme.
Monique Canto-Sperber, philosophe, directrice de recherche au CNRS, auteure d'Une école qui peut mieux faire, donne avant la pause déjeuner une conférence sur le thème:
L'autonomie scolaire, une comparaison internationale.
En France, au même moment, tous les élèves étudient la même chose dans les mêmes classes. Il n'y a en effet aucune politique des ressources humaines pour répondre aux voeux des enseignants et des établissements.
Les écoles publiques françaises sont en réalité les moins autonomes d'Europe. Si leur financement est public, leur autonomie juridique est limitée et elles n'ont aucune autonomie en matière d'organisation et de contenu.
Au contraire, en Suède, une réforme radicale a eu lieu et a donné aux écoles publiques une grande autonomie d'action. La même chose s'est produite aux États-Unis avec les charter schools et en Angleterre avec les free schools.
Certes, en France, il y a des écoles privées, sous ou hors contrat, pour la plupart confessionnelles, sauf exceptions notoires, telles que l'École alsacienne ou le Cours Sévigné, mais elles ne représentent que 13% des élèves.
Quand ces écoles privées sont sous contrat, le financement des enseignants est assuré par l'État; leurs autonomies de statut et d'organisation sont bridées par l'État. Quand elles sont hors contrat, elles sont extrêmement surveillées.
Les résultats des enquêtes PISA et européennes dressent un constat d'échec de l'enseignement en France: il y a baisse des performances et inégalité scolaire. Seul un petit pourcentage, 5 à 8%, réussit dans les filières d'élites.
Un regard historique permet de comprendre cette incapacité française à réaliser l'égalité des chances:
- sous la Révolution, fin dévastatrice des universités françaises considérées comme des corporations;
- sous l'Empire, université impériale, sans autonomie;
- au début de la IIIe République, création de dix-sept universités conformes aux grands principes;
- après la Grande Guerre, uniformisme;
- après la Deuxième Guerre mondiale, avec le baby boom, massification et centralisation accrue;
- au cours des dernières décennies, lettre morte de toutes les décisions qui auraient permis de parvenir à l'autonomie.
En Suède et au Royaume Uni, la réforme et les free schools n'ont pas donné les résultats attendus, mais il y a tout de même eu amélioration. Dans les charter schools américaines, les résultats n'ont été spectaculaires que dans les milieux défavorisés.
Que faire selon l'intervenante? Procéder à des expérimentations et les contrôler par l'État en évitant aussi bien une réglementation tatillonne que le laxisme ou l'autoritarisme, certes efficace mais désastreux si l'on fait fausse route.
Alexandre Moulin, directeur de l'École Ardévaz, à Sion, donne, après déjeuner, une conférence sur le thème:
Quel rôle pour les écoles privées
Le conférencier donne d'abord quelques chiffres sur le Valais:
- 4 135 élèves dans les écoles privées sur un total de 35 000 élèves
- budget total des écoles: 520 millions CHF
- rentrées du privé: 50 millions CHF, économie: 156 millions CHF
- coût d'un élève (gymnase) dans le public: 32 000 CHF par enfant et par an
- coût d'un élève dans le privé: 20 000 CHF par enfant et par an
- salaires inférieurs de 20% dans le privé.
Quel est le contexte familial? Il y a 1,6 enfant par famille et 68% de divorces.
Quel rôle pour les écoles privées? Plus que des résultats chiffrés, apporter du bien-être aux élèves.
Comment? L'école privée s'adapte aux élèves plutôt que l'inverse, de deux manières: en offrant une architecture adaptée et un cursus adapté.
Ainsi Alexandre Moulin projette-t-il des images d'une école test où l'on voit des salles de classe circulaires avec une cascade intérieure, un lieu de vie où l'accueil est vert et la cantine végétalisée, un toit qui est aussi un théâtre en plein air.
Le nombre d'élèves dans le privé est de 12 par classe contre 26 dans le public. Le cadre strict, qu'ils n'ont pas toujours en famille, est demandé par les élèves eux-mêmes: bienveillance et fermeté sont les maîtres-mots.
En résumé: Le professeur est plus un coach qu'un maître.
Enzo Santacroce, enseignant et doyen au Gymnase de Beaulieu, à Lausanne, donne une conférence sur le thème:
École inclusive et libéralisme.
L'objectif est l'égalité des chances et non pas l'égalitarisme. Il s'agit donc de donner à tous la même ligne de départ et non pas de niveler et de stigmatiser les meilleurs.
Pour ce faire, il faut freiner les velléités sociétales et rappeler la réalité, autrement dit évaluer ce qui est plutôt que ce qui devrait être.
Si l'État garantit les infrastructures et l'évaluation des compétences, le rôle du pédagogue est d'accompagner l'élève pour qu'il libère son potentiel et sa liberté.
Le pédagogue doit inclure ou ré-inclure l'excellence et la pluralité des compétences; il doit favoriser, ou réhabiliter, mérite et force morale, car le perfectionnement de soi est plus important que la réussite.
Le pédagogue doit se borner à être juste - le juste plutôt que le bien est la posture étatique - et c'est à l'élève de décider d'être heureux. Aussi le pédagogue doit-il s'adresser franchement à l'élève et à ses parents pour les responsabiliser:
- à l'élève pour lui dire que c'est son parcours, pas celui que ses parents aimeraient qu'il fasse;
- aux parents pour leur dire qu'ils doivent souhaiter que leur enfant s'épanouisse.
Frédéric Borloz, Conseiller d'État du canton de Vaud, Chef du Département de l'enseignement et de la formation professionnel, donne la dernière conférence de la journée sur le thème:
Présent et futur de la formation obligatoire et post-obligatoire.
Frédéric Borloz n'a jamais été enseignant et est de formation financière.
Pour donner une idée du département qu'il dirige, il communique quelques chiffres:
- 3 milliards de CHF de budget
- 17 500 personnes employées
- 94 000 élèves et étudiants.
À quoi sert l'école? À acquérir la culture générale nécessaire - tout ne doit pas être utile à l'école - et la capacité d'être indépendant financièrement. Pour cela il faut rappeler qu'il n'y a pas de prospérité, ni de progrès sans effort; que l'égalité des chances est l'égalité d'accès.
La société a changé:
- il n'y a, par exemple, plus de collaboration avec les parents et plus d'autre lien avec eux que le carnet journalier;
- le wokisme est le fait de minorités qui font du bruit, de personnes bien organisées qui pourrissent la vie.
Il faut donc:
- que l'école recrée le lien avec les familles;
- que l'école apporte un cadre clair et que des limites soient fixées comme dans tout ce qu'on entreprend.
Comme il y a 76 écoles privées dans le canton de Vaud, parmi lesquelles des écoles parmi les meilleures du monde (École Hôtelière de Lausanne, Institute for Management Development), il faut collaborer entre public et privé. Par exemple la Haute École Pédagogique devrait faire venir des enseignants de ces écoles.
Quelles sont les grandes réformes engagées?
- l'inclusion avec le Concept 360° qui est un système de soutien global aux élèves à besoins spécifiques;
- le numérique avec le ChatGPT et les méthodes à trouver pour responsabiliser;
- le gymnase en 4 ans au lieu de 3: bien que partisan du fédéralisme et de la liberté de l'enseignement et des établissements, Frédéric Borloz concède qu'il faut harmoniser un peu en raison notamment de la plus grande mobilité.
L'important pour le Conseiller d'État est:
- de voir les choses dans leur verticalité;
- d'avoir des objectifs;
- d'avoir une évaluation des enseignants.
Comme le lecteur peut le constater en lisant ces notes prises lors de cette journée, quel que soit le thème abordé, les ombres de l'école publique et de l'intervention étatique planent sur les réflexions des libéraux héritiers des Lumières.
Francis Richard