(Interview pour PlaneteBD réalisé lors d'Angoulême 2023)
© Photo : F. Guigue
Bonjour Sammy. Je dois reconnaître que je ne connaissais pas ton travail avant cet album, or j’ai été très impressionné par la qualité de Blood of the Virgin. Ce roman graphique, non seulement nous propose une très bonne histoire, mais aussi beaucoup d’anecdotes au sujet des ambiance des studios cinéma américains dans les années soixante-dix. Aussi, première question : quelle est ta relation avec cette industrie, et comment ce projet a t-il vu le jour ? Sammy Harkham : C’est indirect/ C’est davantage un truc de fan. Vivant à Los Angeles, je connais pas mal de gens vivant de l’industrie du cinéma, parce que c’est celle dominante. Pour ce projet, on a décidé de privilégier cette époque des années soixante-dix et comment un personnage comme celui-ci pouvait aller complètement à l’opposé de ce que lindustrie voulait. En fait il va se clacher sur tous les points de vue. Il faut avoir une sacrée force de volonté. Du moment où l’on a une sensibilté artistique, on est malheureusement amené à obligatoirement faire des compromis dans cette industrie.
J’imagine que tu as utilisé pas mal de documentation pour Ça ?
Sammy Harkham : J’ai échangé avec Joe Dante, mais toutes mes questions étaient surtout concentrées sur la période où il était assistant de Roger Corman. Je lui ai demandé “où se trouvaient les bureaux ? Etaient-ils prêts de lui ? Combien de gars y avait-il ? Combien il les payait ? Aviez-vous vos propre clés ?” J’ai parlé à quelques autres réalisateurs, et j’ai en quelque sorte extrapolé à partir de ça. Je voulais tellement aller loin dans l’histoire, qu’il ne s’agissait pas vraiment de parler du mythe, mais plutôt des idées derrière. Je souhaitais les sentir, au niveau le plus trivial.
Il me semblait que tu avais travaillé comme co-producteur sur certains films, me suis-je trompé ?
Sammy Harkham : Non, pas vraiment, j’ai travaillé sur des petits films, mais je travaillais déjà sur Blood of the Virgin. Et j’ai su que j’étais sur la bonne voie lorsque des producteurs m’ont dit qu’ils n’avaient jamais rien lu d’aussi pertinent sur le sujet. Parce que généralement, lorsqu’un film sort, on nous parle rarement de ce qui se passe réellement sur le tournage, mais si vous connaissez des personnes y travaillant, vous entendez plutôt : “On avait prévu ce gars là à ce poste, mais il a été viré, ou bien, “on avait prévu celui-ci mais il n’a pas été assez bon”. En fait, la presse préfère souvent la mythologie. Prenons l’exemple de Georges Franju, ok ? Ce gars faisait de l’art dans le films d’horreur. Jacques Tourneur, pareil, avec Night of the Demon vous pensez : “Wow, prenez ces gars là et faites les venir à Hollywood”, mais ca ne serait tout simplement pas possible. Et c’est aussi la question principale d’épisodes dans des séries TV, on n’y va pas, parce que ce n’est pas pertinent, par rapport au reste de l’histoire. Il s’agit d’idées automatiques mais ce n’est pas important pour l’histoire.
On remarque des personnages, autour, qui prennent part au récit, qui sont là, puis virés...
Sammy Harkham : C’est toute la question de Turn over. Aussi, lorsque le premier directeur est là, il agit comme un hippie, c’est comme un type de dinosaure, jusqu’à ce qu’il fasse un film d’horreur, et là, il se révèle vraiment bon. Et le public ne pensait certainement pas qu’il était bon. Et du moment où l’on voit qu’il est bon, on n’en veut plus. On ne comprend pas vraiment le rôle ou le but du producteur dans ce cas-là. Que cherche t’il à faire ?
Puis-je te demander quels sont tes meilleurs B Movies ?
Sammy Harkham : Messiah of Evil (Willard Huyck et Gloria Katz, 1973), Shred of the Vampire (Le Viol du vampire, Jean Rollin, 1968), j’adore aussi le travail de Herschell Gordon Lewis (Blood Feast, 2000 maniacs…). Il est très intéressant, parce que c’est un vrai artiste, dévoué à son art.
Tu es le co créateur du cinéma le Fairfax, à Hollywood. J’imagine que l’on peut y voir pas mal de films alternatifs là-bas, me trompé-je ?
Sammy Harkham : Non non. Il y quelques années, le cinéma était à vendre, et il devait être transformé en restaurant ou quelque chose comme ca, aussi, avec d’autres copains on a voulu lui garder son rôle de cinéma. Et c’est un “Repertory cinema” maintenant. (ndlr : C’est à dire un peu ce que l’on appelle chez nous un “Art et essai”, mais où l’on diffuse régulièrement des classiques du patrimoine). Mais je ne suis plus impliqué désormais.
Tu remercies Jordan Crane à la fin du livre. Quelles sont vos relations tous les deux ?
Sammy Harkham : Jordan a été le premier auteur de comics que j’ai été amené à connaître, lorsque j’avais 18 ans. Et il a toujours été le plus aidant pour moi. Il m’a appris, à tout faire, y compris les couleurs, et même scanner proprement des images. Il a toujours été enthousiaste avec moi et d’un grand support amical.
Et pourtant, vous vous êtes fait connaitre, en tous cas chez nous, quasiment en même temps !?
Sammy Harkham : Et oui, deux livres plus tard, “collés pour toujours !” Son livre a pris beaucoup de temps, le mien aussi… En fait, nos univers et nos styles sont très différents, mais nous sommes des amis proches. Et il est toujours un mentor pour moi.
Ça a été aussi une manière de conceptualiser la ville, car si tu regardes ici (il feuillette l’album, puis montre la 158), la rivière, comme ici, dans son milieu naturel, on peut y pêcher, et bien plus tard tu la retrouves ici, imbriquée au sein de la ville (page 181).
Et là, on peut se dire « qu’est-ce qui est arrivé à cet endroit ? Ou est la vallée ? » Je voulais que le lecteur se pose la question de ce qui a changé. Et ce chapitre en couleurs, en « arrière plan », donne en fait pas mal de compréhension du contexte et de l’ensemble de l’histoire. Et cette maison là (il montre à nouveau la page 162, où une pièce de la grande maison où habite le jeune acteur devenu mania, est remontrée plus tard dans les chapitres en noir et blanc, page 304, comme une pièce de la maison où le héros retrouve sa femme).
C’est marrant parce que cette pièce, cette maison, me rappelle le film où l’on trouvait cette vielle actrice déchue du muet.
Sammy Harkham : Sunset boulevard !?
Oui, c’est ça : Boulevard du crépuscule, merci !
Sammy Harkham : C’est comme un homme dans son château. Ce personnage est un peu en dehors. On est d’abord à se dire, « oh, c’était juste un Cow-Boy et il a réussi ! » Et puis tu vois qu’à la fin, il y avait un prix pour cela. Il y a eu un retournement. Oui, c’est triste à la fin.
Quels sont les auteurs que tu pourrais nous recommander ?
Sammy Harkham : Lorsque je pense à des oeuvres satellites de mon livre, je pourrais citer Charles Willeford, mais en contemporains, j’adore David Amram ; il est francais, je l’ai publié dans Kramers Ergot. Sinon : Abramah Diaz, de Mexico : fantastique ! Colin Wilson aussi...
As-tu des contacts avec des producteurs, pour adapter Blood of the Virgin ?
Sammy Harkham : Oui. C’est un projet sur lequel je travaille depuis deux ans. Tu sais, travaillant à Los Angles, je suis très au courant du procédé...Et si un réalisateur est intéressé, ça sera ok pour moi, même s’il le fait à sa sauce, je ne suis pas focus dessus, ça ne change pas ma vie de tous les jours. Mais je n’ai pas plus d’info à te donner pour l’instant officiellement.
Merci beaucoup Sammy pour le temps consacré et ta gentillesse.
(Et nous nous sommes quittés dans le crépuscule d'Angoulême, moi partant à gauche avec le badge professionnel de l'auteur, l'ayant confondu avec le mien lors de nos échanges, et lui vers la droite disparaissant dans la foule...)