Lectrices exigeantes, lecteurs sélectifs, ce blog vous a maintes fois chanté les mérites de la Dame du temps présent, Leila Olivesi, pianiste, compositrice, cheffe d'orchestre, directrice musicale. Ses mérites et ses talents ont été récompensés par l' Académie du Jazz qui lui a décerné le prix Django Reinhardt de musicien français de l'année 2022.
Comme elle l'avait fait en mémoire de Chick Corea (1941-2021), elle a aimablement accepté de vous livrer, lectrices exigeantes, lecteurs sélectifs, ses souvenirs personnels de Wayne Shorter (1933-2023).
Voici mes questions:
1. Quels sont tes souvenirs personnels de Wayne Shorter (concerts, rencontres)?
2. Quelle influence a t-il eu sur ta musique?
3. Quels morceaux, albums recommanderais tu d'écouter à ceux qui ne connaissent pas la musique de Wayne Shorter?
Voici ses réponses. Merci à la Citoyenne Leila Olivesi.
Mr Wayne ShorterJ'ai eu l'honneur de rencontrer Mr Wayne Shorter après un concert qu'il avait donné avec Herbie Hancock à la Cité de la Musique en janvier 2004. Lorsqu'ils ont franchi tous deux le pas de la porte du café de la Musique, mon cœur s'est mis à battre la chamade et je me suis levée dans un élan irrépressible. Ils portaient tous les deux un manteau chic et chaud, le port altier, on aurait dit une de ces pochettes de disque dont ils ont le secret. L'instant d'après, je leur serrais la main et je me souviens du regard amusé et presqu'ingénu que Wayne m'a lancée lorsque je lui ai dit que j'adorais sa musique et à quel point il m'avait inspirée en tant que musicienne et compositrice. Le concert avait été magique. Leur complicité, forgée au cours des années depuis le second quintette de Miles Davis, était palpable à chaque seconde. Et surtout, le son de Wayne Shorter au saxophone soprano défiait les lois de la physique.
Ce son, j'en ai fait l'expérience à l' Unesco, le jour du 3ème Philosophy Day en 2004, lorsqu'il était entré du fond de la scène pendant un solo d'Herbie Hancock, soufflant dans son saxophone soprano. Sans micro bien sûr, son instrument rayonnait à travers l' immense auditorium . On aurait dit que Wayne était en lévitation, tandis que le public était transporté dans une autre dimension : celle d'Aung San Suu Kyi, femme pour laquelle il avait composé cette pièce éponyme.
J'ai également des souvenirs impérissables du concert qu'il a donné, à la Cité de la Musique accompagné de Orchestre National de Lyon, cette même semaine fin janvier 2004, et surtout le concert en quartet au Parc Floral en 2001. Ce jour-là, j'avais réalisé une interview de Danilo Perez pour l'émission de radio que j'animais à l'époque avec Thierry Riou, Bleu Citron (Génération FM), et je me souviens lui avoir posé quelques questions sur leur façon de jouer et de travailler au sein du quartet de Wayne Shorter. Danilo m'avait raconté que Wayne donnait très peu d'indications sur la musique mais qu'il évoquait parfois des images ou des films. Wayne aimait l'idée que chacun s'affranchisse du rôle traditionnel assigné aux instruments, qu'on pouvait accompagner un solo de contrebasse ou de piano en jouant du saxophone. Il allait jusqu'à imaginer changer le timbre des instruments. Danilo m'expliquait alors qu'il jouait parfois du hautbois ou des timbales à travers son piano... Une ouverture d'esprit et une imagination fertile qui m'inspirent jusqu'à présent.
La rencontre entre Danilo Perez et Wayne Shorter a été déterminante aussi pour mon inspiration et ma direction artistique. Les albums de Wayne Shorter comme Night Dreamer, (cf extrait audio au dessus de cet article), Speak no Evil, Schizophrenia, faisaient partie de mes plus grands piliers musicaux. J'avais découvert et adoré Danilo Perez trio au New Morning en première partie du pianiste Gonzalo Rubalcaba à la fin des années 1990. J'ai alors commencé à suivre les créations de Danilo Perez, je suis allée l'écouter au Duc des Lombards avec son groupe " Motherland " et nous avons discuté longuement de musique et improvisé une jam session (piano/melodica) au club le Petit Opportun qui existait encore à l'époque. Une véritable révélation qui a rendu l'annonce de la composition du nouveau quartet de Wayne Shorter encore plus jubilatoire. Cette alchimie entre Brian Blade, John Patitucci, Danilo Perez et Wayne Shorter est un modèle et j'ai d'autant plus d'admiration pour Wayne qu'il a toujours su avancer et évoluer musicalement, dans une quête qu'il poursuit maintenant à travers les étoiles, peut-être dans le Milky Way Express...
Cf vidéo sous cet article. Le quartette Wayne Shorter, Danilo Perez (piano), John Patitucci (contrebasse) & Brian Blade ( batterie) en concert au Festival international de Jazz de Montréal, Québec, Canada, le 1er juillet 2001.
Cheffe d'orchestre, pianiste, compositrice