de Claire Baglin
Roman - 160 pages
Les Editions de Minuit - 2022
Une jeune fille se rappelle son enfance modeste avec des parents pour qui une sortie au fast food était exceptionnelle, compliquée, chaotique, complexante. Des années plus tard, elle passe un entretien pour être employée d’un fast food.
Alors il ne s’agit pas de sortie cinéma mais ce titre fait référence au poste alloué à ceux qui doivent travailler dans la salle de restauration rapide, entre les clients bruyants, les plateaux mouvants, les déchets jonchant le sol… Chaque jour la voit hériter d'une affectation, le café, la salle, les frites, ou le mieux, le graal : le drive. Les chapitres alternent des fragments de l'enfance et des bribes de journées en immersion dans son job étudiant.
Je n’avais pas réalisé qu’on peut être né.e en 1998 et publier un tel roman… Description implacable, analyses quasi chirurgicales des tourbillons dans lesquels la narratrice était et est emportée, comme une fantôme trimballée, désincarnée, qui subit son environnement. Depuis l'enfance avec l'image de ce père, dont elle sent bien qu'il joue un rôle, un rôle de puissant alors que son emploi peu à peu l'use et le broie. Le parallèle se fait avec son embauche dans ce job déshumanisant, où les équipiers doivent suivre les cadences des commandes et des livreurs qui s'impatientent, avec l'envers du service, l'eau au sol et les aliments piétinés. Elle devient une machine pensante mais dont le corps soumis ne fait que subir les ordres.
Extrait :
"Une vapeur m'enveloppe à chaque panière plongée. De leurs tables, les clients peuvent observer le processus : je suis le seul poste de cuisine visible depuis la salle. Je range les sachets par taille, petits, moyens, grands et à côté de moi, les équipiers préparent les burgers armés de pistolets à sauces, empaquettent, les font glisser jusqu'au tapis roulant central. Un manageur s'exclame attention l'embal' et un équipier des cuisines répond merci embal'. Ici personne ne cuisine, nous sommes occupés à garantir une température élevée, un aspect correct, conforme à ce que le client connaît déjà ou a pu goûter dans un autre restaurant de la chaîne. Nous manipulons l'équipement de production et nos gestes sont les mêmes que ceux des équipiers d'il y a vingt ans."
Rappelant A la ligne, de Joseph Ponthus, ce nouveau roman qui consacre la moitié de ses lignes à une autre facette du monde agroalimentaire allie le réalisme à l'habilité de l'écriture et la narration.