" Aujourd'hui, 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre deux personnes dans le cadre de la situation en Ukraine : M. Vladimir Vladimirovitch Poutine et Mme Maria Alekseyevna Lvova-Belova " (Piotr Hofmanski, le 17 mars 2023 à La Haye).
Il s'est produit un petit événement historique ce vendredi 17 mars 2023 à 16 heures 27 : le juge polonais Piotr Hofmanski, président de la Cour pénale internationale (CPI ; en anglais, ICC : international criminal court) depuis le 11 mars 2021, a annoncé publiquement que la juridiction internationale venait d'émettre un mandat d'arrêt contre le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine, ainsi qu'un autre contre Maria Lvova-Belova, sa chargée de mission aux droits de l'enfant au Kremlin. La CPI reproche aux deux cités leur implication personnelle dans la guerre en Ukraine, " présumés responsables du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d'Ukraine vers la Fédération de Russie ".
Rappelons rapidement ce qu'est la Cour pénale internationale dont le siège se trouve à La Haye. Wikipédia indique qu'elle est Ukraine, un an après : "Chaque jour de guerre est le choix de Poutine". " une juridiction pénale internationale permanente, et à vocation universelle, chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l'humanité, de crime d'agression et de crime de guerre ". C'est le Statut de Rome (un traité international), signé le 17 juillet 1998 et entré en vigueur le 1 L'Ukraine à l'Europe : donnez-nous des ailes ! er juillet 2002 (la CPI ne s'occupe que des crimes commis à partir de cette date, il n'y a pas rétroactivité), qui régit cette cour, étape importante de l'instauration d'un droit international universel en cogitation depuis la fin du XIX e siècle, à la suite de la guerre de 1870, que la chute du mur de Berlin et du bloc soviétique ont permis de concrétiser.
Kherson libéré, mais menace nucléaire ?
Actuellement, 124 États sont parties prenantes de la CPI sur les 193 que compte l'ONU, mais 139 États sont signataires. Les États-Unis ont signé le 30 décembre 2000 et la Fédération de Russie a signé le 13 septembre 2000, mais ni l'un ni l'autre de ces deux pays ne l'ont ratifié et ils ne sont pas non plus membres de la CPI. Les États-Unis ont toujours été très opposés à une autorité supranationale qui viendrait s'ingérer dans leurs affaires intérieures, et par ailleurs, la situation des prisonniers du camp de Guantanamo pourrait faire l'objet d'une enquête de la CPI. La Russie aussi a dénoncé le Statut de Rome. Elle a retiré sa signature (purement verbalement car il n'y a pas de procédure pour retirer une signature) le 16 novembre 2016 en raison d'une enquête menée sur les exactions commises en Ossétie du sud en 2008. La Chine et l'Inde ont participé aux travaux de la Conférence de Rome mais n'ont pas signé le Statut. Tous les États de l'Union Européenne sont membres de la CPI, parfois avec réticence, comme dans le cas de la France qui craignait d'être visée par des enquêtes lors de ses participations à des opérations de pacification.
Sans surprise, la réaction de la Russie a été de s'en moquer (l'ancien Président Dmitri Medvedev a même stupidement comparé ce mandat à du papier toilettes), puisque la Russie n'est pas membre de la CPI et ne reconnaît pas sa réalité juridique ni son autorité, et la réaction de l'Ukraine, qui n'est, elle non plus, pas membre de la CPI, a été d'applaudir et de souligner le caractère historique de ce premier pas vers la justice.
Soyons clairs : concrètement, des policiers onusiens ne viendront pas sonner à la porte du Kremlin et interpeller Vladimir Poutine. Il y a encore beaucoup de marge pour l'arrêter, le juger et le condamner, d'autant plus que dans le passé, un certain nombre de dirigeants d'État ont été acquittés, souvent faute de preuves.
Mais les expériences précédentes d'autres tribunaux internationaux, créés spécifiquement pour la situation d'un pays (avant la création de la CPI), ont tenté et parfois réussi à condamner certains auteurs de massacre. C'était le cas pour l'ex-Yougoslavie, même si ce fut tardivement, une vingtaine d'années plus tard, et sans avoir pu condamner Slobodan Milosevic, le Président de la Serbie dont le nationalisme a embrasé l'ancienne Yougoslavie, pas faute de l'avoir arrêté mais parce qu'il est mort avant son procès. Poutine pourrait être comparé à Milosevic, au nationalisme similaire de grande Serbie ou de grande Russie, prêt à commettre des massacres pour imposer leur hégémonie.
Avant aujourd'hui, un seul chef d'État en exercice a eu un mandat d'arrêt de la CPI, ce fut Omar El-Bechir, putschiste et Président de la République du Soudan du 30 juin 1989 au 11 avril 2019 (arrivé au pouvoir par un putsch, renversé par un autre putsch trente ans plus tard), mis en accusation deux fois par la CPI le 4 mars 2009 et le 12 juillet 2010 pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre lors de la guerre du Darfour, qui n'a jamais été vraiment inquiété, au pouvoir ou après (il vit toujours sans avoir été ni arrêté ni jugé par la CPI, malgré les promesses du Soudan de le lui remettre en 2020 et en 2021).
Dmitri Vrubel.
D'un point de vue politique et symbolique, ce mandat international visant Vladimir Poutine est pourtant très important et aura des conséquences durables dans les relations internationales.
D'une part, il signifie que Poutine devient définitivement infréquentable. En effet, même après la guerre en Ukraine, quelle qu'en soit l'issue, il ne sera plus possible, au nom de la Realpolitiks, de refaire comme avant l'Ukraine, réintégrer Vladimir Poutine dans le concert des nations (en particulier dans le G8 et le G20). Ce mandat formalise la fracture définitive entre Poutine et ses anciens partenaires.
D'autre part, il signifie aussi, mais on le savait déjà avec l'ex-Yougoslavie, que la vie d'un dictateur est rarement impunie désormais. Ce ne sera plus jamais un long fleuve tranquille. Soit sous la forme d'un procès plus ou moins sincère, comme avec Saddam Hussein, soit sous la forme d'un lynchage d'autant plus odieux qu'il répète ce qu'on reproche aux dictateurs, comme avec Kadhafi. Le temps de l'impunité, en tout cas, est bel et bien terminé : ni Staline, ni Pinochet, pour ne prendre que deux exemples. Chaque dictateur devra, un jour ou l'autre, rendre des comptes devant le tribunal de l'humanité. Cela ne les dissuadera sans doute pas de commettre les actes de barbarie mais ils devront payer.
Par ailleurs, si cela va réduire les possibilités de visite internationale aux seuls pays "amis" (genre Corée du Nord, Iran, Syrie, Mali, Érythrée) s'il ne veut pas risquer de se retrouver piéger et arrêter en pays étranger, Vladimir Poutine devra aussi faire face à sa propre "opinion publique" en Russie dont le peuple comprendra enfin qu'il est devenu définitivement un pestiféré international, sans espoir de rédemption, pas de quoi affermir la grandeur de la Russie.
Alors que la Hongrie et la Turquie sont en cours de lever leur veto pour l'adhésion de la Finlande à l'OTAN (en séparant cette décision de la question de l'adhésion de la Suède), cette annonce de mandat d'arrêt international par la CPI montre à quel point Vladimir Poutine est un piètre stratège pour les intérêts de la Russie.
Aujourd'hui, on peut encore commettre les pires atrocités, et malheureusement, cela continuera jusqu'à la nuit des temps, au même titre qu'un code pénal n'empêchera jamais les pires crimes, mais la complexité des sociétés humaines, leur fédération autour de valeurs universelles mises en musique par des organismes internationaux pleinement reconnus (et la CPI en fait partie), ainsi que l'ultrarapidité de la circulation des informations laissent entrevoir que tout se paiera un jour ou l'autre. Que Poutine en prenne bien conscience, tout possesseur de bombes nucléaires qu'il est.
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Sylvain Rakotoarison (17 mars 2023)
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