Un texte de Nafy-Nathalie et h16
L’histoire est assez ubuesque.
La SNC LA BELLE ET LE CLOCHARD, société de promotion à « visée éthique et sociale », créée en 2020, possède dans le 9ème arrondissement de Lyon les locaux d’une ancienne entreprise de télésurveillance qu’elle a laissé totalement à l’abandon.
Un groupe d’une vingtaine de jeunes décide de s’y installer en juillet 2021 pour y vivre « en communauté ». Rapidement, les tags qu’ils apposent consciencieusement sur les murs leur permettent de revendiquer un militantisme « en marge de la société selon la SNC », ce qui n’empêche en rien de faire la fête sans aucun souci des troubles causés à leurs voisins qui vont de pétitions en tentatives de médiation sans succès.
La propriétaire, une SNC dont les associés connaissent à priori parfaitement les lois autour de l’immobilier puisque c’est leur métier, respecte la procédure légale et lance les actions nécessaires pour faire expulser les squatteurs, qui débouche sur une “reprise des lieux”, ordonnée par le juge des contentieux. Les squatteurs qui s’étaient installés courant 2021 ont théoriquement jusqu’au 31 mars 2023 pour plier bagage.
Je dis théoriquement parce que si les squatteurs n’avaient pas quitté les locaux le 31 mars, il aurait fallu qu’un commissaire de justice leur délivre un commandement de quitter les lieux. Sans effet, le commissaire de justice aurait dû demander au préfet le concours de la force publique pour une expulsion, qui aurait eu alors deux mois pour indiquer sa position avec la possibilité pour la propriétaire d’un recours en cas de refus auprès du préfet puis du tribunal administratif. Le concours accordé, l’expulsion aurait pu être exécutée seulement après avoir trouvé une date pour réunir commissaire, serrurier et police pour l’expulsion.
En somme, en plusieurs mois voire plusieurs années supplémentaires et des tonnes de tracasseries supplémentaires, l’affaire était réglée, zip zoup facile. Certes, le temps de la justice et de l’Etat n’est pas le même que celui des citoyens, mais qui s’en plaindra ?
Cependant survient un coup de théâtre en janvier : les occupants semblent avoir plié bagages. Le squat est redevenu si calme qu’il semble déserté. Les voisins préviennent le propriétaire qui décide fin janvier, après 48 heures continues sans occupants, de sécuriser l’accès à son bien pour éviter une nouvelle intrusion et de le placer sous surveillance d’un vigile.
Malheureusement, deux des squatteurs, un homme et une femme, reviennent. Le premier est serrurier et travaillait dans l’entreprise qui se trouvait au rez-de-chaussée de l’immeuble squatté. La serrurerie est un métier qui ouvre bien des portes, notamment celle de squats, vous en conviendrez. La seconde est professeur des écoles, ce qui laisse songeur lorsqu’on se rappelle que c’est ce genre de personnel aux valeurs accommodantes qui s’occupe d’instruire nos enfants.
Revenus sur place, ces deux squatteurs demandent à récupérer leurs affaires, sans y parvenir, ce qui les décide à attaquer la SNC : selon eux, l’expulsion serait illégale. Vivant dans les lieux depuis un an avec encore des affaires personnelles sur place, ils avaient légitimement le droit d’y rester jusqu’au 31 mars et réclament donc l’application du droit au logement.
Pour rappel, ce droit a valeur constitutionnelle et dispose que le « garantir constitue un devoir de solidarité pour l’ensemble de la nation. »
Magie du droit français où, de bricolages juridiques en renoncements de principes, on aboutit à sanctionner plus lourdement l’expulsion illicite d’un squatteur que la violation de domicile.
Sans honte ni gêne, nos squatteurs réclament donc de pouvoir retourner vivre dans les biens de la SNC LA BELLE ET LE CLOCHARD jusqu’au 31 mars 2023, demandent même à pouvoir y rester jusqu’à ce qu’ils trouvent un autre logement et réclament des dommages et intérêts de 5000 euros pour faire bonne mesure, pour le « préjudice subi ».
Sans doute leur avocate s’est-elle inspirée d’une décision de 2018 condamnant un propriétaire à verser 5000 euros suite à une expulsion illégale.
La situation était alors très différente puisqu’il s’agissait de l’expulsion d’une victime de violences conjugales qui avait dû abandonner son logement pour être mise en sécurité, à comparer avec une bande de jeunes pas vraiment sans ressources (ils sont salariés) qui ont essentiellement envie de faire l’expérience d’une vie communautaire sans limites.
Malgré tout, la loi française est ainsi faite : une expulsion peut rapidement être jugée illégale.
On a en effet longtemps considéré (oubliant allègrement la détresse économique ou la violence psychique pour un propriétaire de subir une occupation illégale), qu’un squat, bien que répréhensible, ne touche qu’aux biens là où une expulsion représente une violence sur des personnes qu’il faudrait donc protéger surtout si l’on part de l’a priori qu’elles sont « ♩ victimes ♪ de la cruauté ♫ de la société ♬ » (refrain bien connu).
Le propriétaire qui ferait une expulsion illégale risque jusqu’à 30.000 euros d’amende et 3 ans d’emprisonnement quand un squatteur ne risque actuellement que 15.000 euros d’amende et 1 an de prison. On attend le vote de projets de loi, actuellement proposés avec l’idée d’alourdir les sanctions contre les squatteurs et de les aligner sur le niveau de celles à l’encontre des propriétaires indélicats.
Projets qui seront d’autant plus combattus par des associations comme Droit au Logement (DAL), qui continuent de voir une « tendance à voir les squatteurs comme des délinquants alors qu’ils cherchent à se mettre à l’abri de la rue », pendant qu’en toute décontraction, une piscine à débordement a même été installée sur le toit du bâtiment squatté.
De son côté, la SNC explique qu’”il n’y a pas eu expulsion“, revendique son droit de propriété et n’a fait que réinvestir un lieu qui lui appartient et que les squatteurs avaient déserté.
Le droit de propriété est absolu, exclusif et perpétuel, inscrit dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est le droit de jouir et de disposer des choses, de la manière la plus absolue (article 544 du Code civil). En outre, la Cour de cassation rappelle que l’expulsion est la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement (Cass.3e civ., 4 juill.2019, n°18-17.119 : Jurisdata n°2019-011697 ; CA Paris, 26 nov. 1997 : Jurisdata n°1997-730081 ; Cass. 3e civ., 20 janv.2010, n°08-16.088 : Jurisdata n°2010-051180).
L’article 226-4 du Code pénal réprime l’introduction illicite du domicile d’autrui d’un an d’emprisonnement et de 15 000€ d’amende. Le maintien illicite dans le domicile d’autrui à la suite de cette introduction est aussi puni.
Sur CNews, la SNC explique également que l’on lui « (…) réclame des dommages et intérêts. Ils souhaitent récupérer leur squat, leur logement, a-t-elle expliqué à nos confrères. Ils souhaitent également qu’on remette l’immeuble en l’état. »
Après tout, tant qu’on y est, pourquoi pas, et ce même si l’immeuble était abandonné et que les squatteurs sont responsables de sa dégradation : depuis un arrêté rendu par la Cour de cassation le 15 septembre 2022 sur un décret du 30 janvier 2002, les propriétaires ont l’obligation d’entretenir leurs biens même occupés illégalement. Ainsi, le propriétaire est tenu pour responsable si l’un des occupants du logement se blesse à la suite d’un défaut d’entretien du logement.
La SNC évoque quant à elle l’insalubrité des lieux, la dangerosité, les dégradations qui coûtent cher et les coûts liés aux assurances et à l’emprunt. Elle réclame 512.000 euros de réparation et une condamnation des plaignants à 3000 euros pour procédure abusive.
La décisions, rendue mardi soir, laisse perplexe.
L’expulsion a bien été jugée illégale par le tribunal (il était impossible, avec la législation actuelle, de prendre une autre décision). La SNC est donc condamnée à verser des dommages et intérêts aux squatteurs à hauteur de 2000 euros chacun, et 1000 euros pour le remboursement de leurs frais de procédure.
Modeste victoire si l’on se rappelle que la SNC aurait pu être condamnée à 30.000 euros d’amende et 3 ans de prison. Elle s’additionne avec le soulagement de voir les squatteurs déboutés de leur demande de remise en état des lieux et de leur réintégration. La SNC a ainsi gagné des mois de procédure coûteuse pour achever l’expulsion.
Sans surprise, aucune des demandes de la SNC (dommages et intérêts, réparations des dégradations) n’ont abouti, ce qui reste logique, l’immeuble ayant été abandonné et devant être détruit.
La loi française est à ce point mal fichue et si prodigieusement favorable aux locataires que la décision rendue n’aurait pas pu être meilleure : le jugement sanctionne le non-respect de la procédure d’expulsion. Tout juste peut-on se réjouir de voir qu’il fait primer le droit de propriété sur le droit au logement.
S’agit-il d’un revirement idéologique, qui remettrait enfin le droit de propriété à sa juste place, ou d’un simple concours de circonstance pour une fois favorable au propriétaire ?
Vu la direction prise par le pays, on devra rester prudent.
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